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Pendant quelques années, l’ignorance même où l’on était de ce que nous appellerions aujourd’hui l’hinterland de la colonie anglaise rendait les relations de voisinage relativement faciles ; mais bientôt les colons de Demerari franchirent l’Essequibo, remontèrent le Cuyuni, son affluent, et rencontrèrent sur leur chemin des richesses minières qui leur parurent très alléchantes. Dès ce moment, la question de frontière naquit entre la colonie britannique et le Venezuela. En 1840, un officier hollandais au service de l’Angleterre, sir Robert Schomburgk, fut chargé de tracer une ligne de démarcation qui a eu le mérite d’indiquer les prétentions anglaises à cette époque, mais non pas du tout de les fixer ne varietur, ni d’en arrêter le développement. Pourtant, sir Robert Schomburgk avait fait la part très large à l’Angleterre : il avait reporté sa frontière à l’ouest, depuis l’Essequibo jusqu’à la rive méridionale de l’Orénoque, de manière à ce qu’elle aboutît au point de Ba-rima. C’était déjà une extension considérable, mais qui n’a pas été définitive. Peu à peu les prétentions britanniques ont pris de plus grands développemens. Elles s’étendent aujourd’hui à tout le bassin de l’Essequibo avec ses affluens, c’est-à-dire le Cuyuni, et avec l’affluent de ce dernier, l’Yuruari, qui traverse les territoires les plus riches en mines d’or de la Guyane, et où Von trouve notamment celles du Callao. On voit par là que la contestation pendante entre le Venezuela et l’Angleterre a une importance très réelle, et nous ne l’aurions pas encore assez mise en vue si nous ne disions pas que le Cuyuni se rattache par ses affluens aux bassins de l’Orénoque et des Amazones, et que ses ramifications s’étendent sur une partie considérable des régions tributaires de ces immenses cours d’eau. Enfin l’Angleterre, établie à l’île de la Trinidad, à l’embouchure septentrionale de l’Orénoque, et à Barima à l’embouchure méridionale, commande en quelque sorte les deux extrémités opposées du delta du grand fleuve. On comprend que le gouvernement de Caracas se soit ému de ses progrès et qu’il ait cherché à y mettre un terme. Mais l’accord, comme on devait s’y attendre, n’a pas pu se faire à l’amiable, et le Venezuela a sollicité le concours des États-Unis. La question, diplomatiquement, s’est aussitôt déplacée : elle a été traitée non plus entre Caracas et Londres, mais entre Londres et Washington, et le caractère du débat n’a pas tardé à s’en ressentir. Les États-Unis ont insisté pour que l’Angleterre acceptât un arbitrage. Lord Salisbury a répondu qu’il admettrait un arbitrage pour tous les territoires occupés par l’Angleterre au-delà de la ligne de Schomburgk, mais non pas pour ceux qui sont situés en deçà de cette ligne, et il avait pour cela quelques raisons assez fortes. Il ne s’est pas contenté, en effet, de repousser « des demandes fondées sur les prétentions extravagantes des Espagnols du dernier siècle » ; il a ajouté qu’il ne pouvait consentir au « transfert d’un grand nombre de sujets britanniques,