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plus affaire qu’à un théâtre où il serait le maître absolu. Six ans il vécut dans un isolement délicieux, les six années, à coup sûr, les plus tranquilles et les plus heureuses de sa vie. Il y produisit les Maîtres Chanteurs et Siegfried, le Crépuscule des Dieux et son étude sur Beethoven, celui de tous ses écrits où il a le plus profondément exprimé ses sentimens intimes.

Il n’avait plus désormais qu’un désir : de faire jouer, ne fût-ce qu’une seule fois, l’œuvre monumentale qu’il venait de créer. Et l’on sait comment il lui fut donné, en 1872, de réaliser ce dernier désir. Dès le mois de janvier de cette année, la construction du théâtre de Bayreuth était décidée ; en avril, Wagner et sa famille s’installaient à Bayreuth ; et le 22 mai avait lieu la pose de la première pierre. Les événemens qui suivirent, la représentation de l’Anneau du Nibelung en 1876, l’insuccès matériel de cette première tentative, la glorieuse revanche de Parsifal en 1882, la maladie et la mort de Wagner, ce sont choses trop connues pour que nous ayons à y revenir. M. Chamberlain a d’ailleurs consacré un chapitre entier à l’histoire du théâtre de Bayreuth ; on y trouvera, avec une foule d’illustrations et de fac-similés, les renseignemens les plus sûrs et les plus précis.

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La seconde partie traite de la doctrine de Richard Wagner. C’est assurément, de tout l’ouvrage, la plus originale, celle qui contient le plus grand nombre d’aperçus nouveaux ; mais c’est aussi, de tout l’ouvrage, la partie dont il serait le plus malaisé de faire un résumé, car elle n’est elle-même qu’un résumé très succinct des onze tomes des Écrits théoriques et de la volumineuse correspondance du maître allemand ; et sa première originalité est précisément qu’on y voit exposées dans l’ordre déductif le plus rigoureux des idées que Wagner a semées un peu au hasard, et plutôt pour son usage [propre que pour l’édification du lecteur. Je ne puis m’empêcher, cependant, de signaler tout au moins quelques passages des chapitres consacrés à la politique, à la philosophie et à la morale wagnériennes.

En politique, le programme de Wagner tient tout entier dans cette formule : un peuple libre sous un monarque absolu. « C’est dans la personne du roi que l’État réalise son plus haut idéal. » Ou, en d’autres termes, mieux vaut la tyrannie d’un seul que la tyrannie de plusieurs, puisque aussi bien la société humaine ne peut se passer d’une direction. Et de même Wagner, tout en refusant de se soumettre à aucune des églises établies, a toujours énergiquement affirmé la nécessité d’une religion. De même encore il voyait dans la propriété individuelle une des plaies de l’état social moderne, sans admettre pour cela les doctrines socialistes. « Tout mouvement politique, disait-il,