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Avec Charles-Emmanuel, les sujets de conflit ne manquaient pas. Tout auprès de la Savoie, et, si je puis dire, sous son aile, un petit pays, le Montferrat, la séparait seule du duché de Milan, Le Montferrat appartenait aux ducs de Mantoue. En 1612, François, duc de Mantoue, était mort, laissant une fille âgée de trois ans, de son mariage avec Marguerite de Savoie, fille de Charles-Emmanuel. Celui-ci, en bon grand-père, mit d’abord la main sur l’héritage de sa petite-fille, ou, du moins, sur ce qui était à sa convenance, le Montferrat (avril 1613). Ceci se passait du temps du marquis d’Inojosa. A la suite d’une guerre de courte durée, la France était intervenue, et sa médiation avait fait accepter, par les belligérans la paix d’Asti (21 juin 1615), qui, en somme, était favorable au duc Charles-Emmanuel. C’est à la suite de ces événemens qu’Inojosa avait été disgracié. L’exécution du traité d’Asti fut donc le point sur lequel Don Pedro fit porter sans retard ses réclamations.

Charles-Emmanuel, malgré l’engagement qu’il avait pris dans le traité, avait continué ses armemens ; Don Pedro le mit en demeure de disperser ses troupes. Mais Charles-Emmanuel s’y refusa. Il se croyait fort. Il avait contracté des alliances avec Jacques Ier et avec la République de Venise et avait reçu de l’argent de ces deux gouvernemens : il avait levé et instruit ses excellentes milices savoisiennes, enrôlé des troupes en France, en Suisse, en Lorraine, acheté des mousquets à Genève, intrigué partout, et surtout en France, auprès de son grand ami et voisin, le maréchal de Lesdiguières. Il se sentait vivre, puisque tout, en Europe, était troublé à cause de lui.

De ces diverses intrigues, les plus importantes étaient assurément celles qu’il poursuivait avec les Vénitiens et avec Lesdiguières.

Venise était, pour l’Espagne, une adversaire beaucoup plus ancienne et plus irréductible que la Savoie. Ceux qui combattaient la monarchie péninsulaire pouvaient toujours escompter, de sa part, une prudente adhésion. Pour le moment, la République était engagée dans un défilé très étroit, où la force et l’adresse de sa grande rivale l’étreignaient cruellement. Il ne s’agissait pas de secourir les autres, mais bien de les appeler à l’aide.

La République « reine de l’Adriatique » avait, par-dessus tout, besoin de sécurité sur les eaux. Mal protégée par ses lagunes, non fortifiée et non fortifiable, tout danger qui s’approchait d’elle, si mince qu’il fût, la faisait trembler. Or, depuis plusieurs années, elle était aux prises avec un ennemi qui, pour n’être qu’un moucheron à comparer avec la puissance du lion de Saint-Marc, ne lui