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Par quels trous tortueux le Savoyard ne dut-il pas passer pour échapper à la colère qu’il avait suscitée ? Son fils, le prince Philibert. dut aller en Espagne subir les rebuffades de l’orgueil castillan et implorer le pardon de l’alliance conclue avec Henri IV. Il est vrai que, tout en négociant un nouveau mariage pour ce fils, à Madrid, le duc en traite un autre tout contraire en Angleterre, et qu’en Italie il trame une vaste alliance entre les États hostiles à la domination espagnole. C’est alors qu’il adresse effrontément aux Italiens un manifeste célèbre où le fin renard fait parade de ses plus beaux tours : « Mes armées sont la sauvegarde de l’Italie ; le roi d’Espagne tient sous le joug Naples et Milan ; les embarras de Venise se multiplient, la Toscane est comme assiégée, Rome hésite ; Gênes, sous le canon des flottes de Barcelone, n’obéit qu’aux ordres de Madrid ; si je désarme, la Péninsule ne comptera plus que des traîtres et des esclaves. Que l’opinion des Italiens dicte ma réponse ! »

L’Espagne possédait en Italie Naples et le Milanais ; elle avait Mantoue sous sa protection. On ne pouvait lever un doigt dans la Péninsule sans toucher à ses intérêts ou à ses prétentions. Mais en raison même de la grandeur et de la diversité de ses possessions, elle était obligée de laisser à ses vice-rois une véritable indépendance. L’Espagne, comme l’Angleterre d’aujourd’hui, était dispersée sur le monde entier. Sa politique était toujours partagée entre la nécessité de s’étendre sans cesse et la difficulté de garder des acquisitions de plus en plus éloignées. Aussi, même en Italie, le vice-roi de Naples et le gouverneur du Milanais étaient-ils à peu près les maîtres dans leur province. Leur action, subordonnée seulement dans sa ligne générale aux intérêts de la couronne, était dirigée, le plus souvent, selon les vues et le tempérament particuliers de ces hauts personnages, semi-indépendans.

Dans la période qui avait suivi immédiatement la mort de Henri IV, Charles-Emmanuel avait eu affaire dans le Milanais à un gouverneur si réservé, si timoré qu’on finit par l’accuser, à Madrid même, d’infidélité. C’était le marquis d’Inojosa. Il fut rappelé. On lui donna des juges et on le remplaça par Don Pedro de Tolède, homme énergique, hautain, porté, autant par caractère qu’en raison des circonstances de sa nomination, à prendre le contre-pied de la politique prudente de son prédécesseur. Il déclara tout de suite « qu’il était décidé à faire reconnaître par le monde entier que les Espagnols ne se soumettent qu’à ce qui leur plaît, sans prendre égard à quoi que ce soit, quand il s’agit d’une affaire où il y va de leur grandeur et de leur supériorité. »