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nom du roi et une autre au nom de la reine, sa mère… il est à propos d’accuser en icelles réception aux dits ministres… Voilà en gros ce que je puis vous dire en cette heure. » Tresnel, ambassadeur à Rome, était un personnage assez médiocre ; il se fâcha, lui aussi, pour quelque formule de politesse oubliée et se plaignit hautement. Le ministre en Hollande, du Maurier, était plus prudent, mais se tenait sur la réserve. Avec de tels instrumens, Luçon, isolé, sans secours, n’ayant guère, pour l’aider que son cabinet intime, avait des heures pénibles. Les ambassadeurs des puissances à Paris en faisaient l’observation. Bentivoglio écrit : « Monteleone se plaint que Luçon est distrait quand il lui parle, et qu’il ne lui prête pas toute l’attention désirable. Et vraiment, le pauvre homme, outre qu’il est nouveau dans les affaires, en a pris la conduite dans un temps de tourmente ; il n’est donc pas étonnant s’il est distrait par la multitude de ses devoirs. »

Dans ces momens, son tempérament nerveux prenait le dessus : « Je n’ai jamais été au milieu des grandes entreprises qu’il a fallu faire pour l’Etat que je ne me sois senti comme à la mort », écrivait-il quelques années plus tard. Mais de telles crises ne duraient pas ; et cette âme énergique avait bientôt retrouvé tout son ressort. Après avoir reçu la lettre de Léon, il le remercie sur le ton de la plus fine ironie, « de ce que, non content de satisfaire au désir que j’ai de prendre connaissance du sujet de votre ambassade, vous avez voulu, par un excès de bonne volonté, me prescrire comme quoi je me dois gouverner en toutes les autres. » Mais son parti était pris de changer tout ce personnel lié au passé et de n’employer partout que des hommes nouveaux.

Cette résolution une fois arrêtée, il consacra quelques semaines à un examen rapide de la situation de Europe et à l’étude des diverses questions qui se présentaient à lui, ne voulant agir que quand il se sentirait en pleine connaissance des affaires et bien maître de ses intentions.


II

Le premier pays qui attirait ses regards, c’était l’Italie. Un des problèmes politiques les plus graves qui puissent retenir l’attention des hommes d’État français était posé à cette époque : il s’agit de la possession de ces vallées des Alpes par lesquelles l’Allemagne entre en communication avec les puissances méridionales rivales de la France.

À cette époque, l’Espagne était puissante. Elle régnait sur la