Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aimait pas à prodiguer ses livres en cadeaux, fût-ce pour obtenir des articles favorables dans les journaux les mieux assis.


Mon cher Renduel,

J’ai parlé de Musset et je n’ai pas Musset ; je veux lire Notre-Dame de Paris et je ne l’ai pas ; j’ai laissé le volume de Sainte-Beuve chez Janin et vous ne l’avez pas réclamé ; j’ai fait des articles sur Nodier et j’attends encore Nodier. En vérité, dites-moi si l’on peut amasser plus de griefs sur sa tête ? Envoyez-moi tout cela, je donnerai 1 franc à votre commis. .

Votre tout dévoué,

GOZLAN.


La seconde est doublement curieuse, en ce qu’elle montre à la fois quel fanatisme les adeptes du romantisme avaient pour leur chef et combien les échappées politiques de celui-ci les gênaient parfois pour donner cours à leur admiration :


2 décembre 1832.

Mon cher ami,

Dès que le drame de Victor Hugo aura paru, envoyez-moi sur-le-champ un exemplaire, afin que je puisse tenir aux lecteurs du Figaro la promesse que je leur ai faite de publier mon opinion sur le style du Roi s’amuse.

Attendez-vous à de grands et magnifiques éloges, et à une large compensation des torts qu’a eus peut-être le journal en attaquant si malencontreusement notre poète. Il ne m’appartient pas d’approuver ou de blâmer ce qui s’est fait ; le journal a des nécessités politiques dont je ne suis pas solidaire, mais qu’à la rigueur je dois subir. Ces nécessités sont si puissantes que l’amitié, l’admiration et l’enthousiasme que j’ai voués à Hugo doivent se taire, Victor Hugo se produisant sous une face politique.

Son drame n’ayant, grâce au ciel, aucun rapport avec sa lettre aux journaux, mon indépendance revient et ma justice aussi… J’ai soif de justice : désaltérez-moi avec le drame de Victor Hugo.

Il est écrit là-haut que dans notre singulier journal il sera couronné un jour et crucifié l’autre. Le jour du couronnement est celui d’aujourd’hui ; je ferai en sorte qu’il n’ait pas de lendemain.

Votre dévoué.

GOZLAN.


Renduel ne lit qu’une seule incursion sur le terrain musical en publiant le livre de d’Ortigue : le Balcon de l’Opéra. Le jeune écrivain méridional, qui sut, durant sa longue carrière, se faire estimer autant par son savoir que par son honnêteté, menait alors une vie assez malheureuse à Paris, et gagnait tout juste de quoi vivre en portant des études de critique ou d’histoire artistique à différens journaux, surtout au National et à la Revue de Paris. C’était vraiment charité que d’accepter et de payer, fût-ce d’une somme modique, les livres qu’il offrait. Renduel le comprit ainsi : non seulement il édita, en 1833, ce recueil d’articles sur la musique