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troisième épreuve autant de lettres fausses, de ponctuations imbéciles, de caractères retournés, que dans la première.

Vous-même, Seigneur, je vous avais marqué d’un radical les pièces qui ont été composées sur copie imprimée, et pour lesquelles je me reposais sur vos soins. J’y viens de jeter les yeux par hasard : elles sont pleines d’infamies. Ce sont les écuries d’Augias à nettoyer. Il n’est pas croyable qu’un imprimeur ose mettre de telles turpitudes sous les yeux d’un auteur. Il ne serait pas plus impertinent de nous envoyer ses bottes à cirer. Mais vous, mon cher ami, je ne vous conçois pas de me faire passer toute une semaine à une besogne qui ne fait pas un progrès, qui s’embrouille, se mêle et se bêtifie à chaque épreuve.

Dans les pièces que vous étiez chargé de lire, on a poussé la méchanceté jusqu’à mêler des vers avec la prose et composer en petit-texte ce qui devait être en cicéro (voyez la page 342). Militairement parlant, c’est se f….. du monde. — Je donne ma démission et ne veux plus rien voir que la préface. Envoyez-la par la voiture et écrivez sur le paquet : A porter à Aulnay. Elle vous reviendra dans la même journée ou le lendemain matin.


Si Latouche avait protégé de façon très efficace les débuts communs de Jules Sandeau et de George Sand dans la carrière des lettres, il n’en était pas moins regardé en général comme un « mauvais coucheur ». Irascible, ombrageux, rancunier au premier chef, aimant beaucoup à dire du mal d’autrui et un peu à en faire, Henri de Latouche était plus redouté qu’estimé de ses contemporains : on ne l’aimait pas, mais on le ménageait, de peur d’encourir son courroux. Un auteur prit alors ce singulier individu pour modèle, le décrivit de façon scrupuleuse au moral comme au physique — la rareté de ses cheveux était même indiquée — et le transporta tout vivant dans le roman : il s’agit du personnage peu sympathique de Clérambault dans le roman les Intimes, publié en 1831 chez Renduel, et qui dut son succès à l’intérêt de certaines situations, au « décolleté » de certaines autres. Ce livre, aujourd’hui bien oublié, fit grand bruit quand il parut. Quelques années plus tôt, Michel Masson et Raymond Brucker, gens à l’imagination romanesque, et dont le premier surtout savait faire naître les péripéties les plus émouvantes, avaient publié chez Dupont (1828) un roman de mœurs populaires qui renfermait plusieurs épisodes pathétiques et terribles ; il était intitulé : le Maçon, — bien peu de gens savent que Scribe a puisé dans ce livre le plan et les scènes de son opéra-comique, — et portait sur le titre une signature de fantaisie : Raymond Brucker.

C’était la mode alors de signer d’un faux nom ou de ne pas signer du tout les œuvres littéraires. Mérimée publiait sans nom d’auteur la Chronique de Charles IX, et signait sa Guzla et ses scènes dramatiques des noms imaginaires d’Hyacinthe Maglanovich et de Clara Gazul ; Paul Lacroix se transformait en Bibliophile Jacob ; Jules Janin ne signait pas ses premiers ouvrages :