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s’agit de mon amour-propre le plus offensif. Depuis longtemps mon buste est exposé au coin de votre comptoir comme un paquet d’affiches : ce n’est pas un honneur que j’ai sollicité, et je vous assure que le don de ma figure s’adressait plus à l’ami qu’au libraire. Il m’est pénible cependant de subir les camouflets du premier drôle venu, qui veut satisfaire peut-être une misérable jalousie sur un plâtre. On laisse les bornes à la portée des chiens pour qu’ils y pissent ; mais je ne pense pas que vous me réserviez ce sort, que je supporterais avec un véritable chagrin : c’est la principale raison qui m’éloigne de votre magasin. Je ne vous demande pas un piédestal, mais un fond d’armoire pour m’y cacher, à moins que vous ne préfériez achever l’œuvre de ceux qui ont mutilé cette sculpture en la brisant. Obligez-moi, mon ami, de me faire disparaître pour toujours de l’exposition perpétuelle où vous m’avez condamné : vous verrez dans une nouvelle que je termine ce que souffre même un homme d’esprit à se voir en peinture le jouet du public. Soyez persuadé que, si j’avais eu votre médaillon, il ne serait pas confondu avec les torchons de cuisine ni affiché à côté du porte manteau.

Votre tout dévoué,

PAUL LACROIX.


20 octobre 1833.

Où l’amour-propre va-t-il se nicher ; et comment une plaisanterie aussi peu offensante qu’un nez cassé ou une paire de moustaches dessinées à l’encre peut-elle troubler le moins du monde un homme de mérite et lui enlever toute quiétude d’esprit ?

Auprès de producteurs aussi féconds que les frères Lacroix, c’étaient de bien petits écrivains qu’Eugène de Monglave et Louis de Maynard ; mais leur plume, pour être moins infatigable, avait cependant du charme et de l’élégance. Combien d’écrivains, à commencer par ces deux-ci, eurent alors une heure de succès qu’ils méritaient à tout prendre, et qui sont, tout de suite après, tombés dans le plus profond oubli !

Eugène Garay de Monglave, d’origine béarnaise, était un ancien militaire qui, après s’être battu dans les deux mondes, ici pour le Portugal, là-bas pour le Brésil, était rentré en France où il continuait à batailler de la plume au service du parti libéral. Frappé plusieurs fois par le parquet pour ses écrits politiques, collaborant à plusieurs petits journaux sous des noms divers, en fondant au besoin, comme il fit pour le Diable boiteux, employé au ministère de l’Intérieur après 1830 et bientôt remercié à cause de sa brochure sur les Colonies de bienfaisance, fondateur et secrétaire perpétuel de l’Institut historique d’où il fut évincé poliment par la suite, auteur de nombreux ouvrages politiques, historiques et littéraires, Monglave, caché sous le nom de Maurice Dufresne, publia chez Renduel en 1830 certain roman du Bourreau qui ne fut pas sans obtenir quelque succès. Et voici, je pense, un curieux échantillon de son style épistolaire où l’ancien officier reparait sous l’homme de lettres :