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Dans les faits, à l’audience, quel douloureux spectacle que celui qui est engendré par de telles contradictions ! Aujourd’hui, par suite de quelque circonstance, cet avocat a pu faire à la peine une allusion discrète sans être arrêté par le président ; demain, s’il y touche d’un mot, il sera rappelé à l’ordre ; après-demain le président donnera l’exemple et dira, comme dans la cause célèbre qui, il y a quinze ans, sonna, dit-on, le glas du « résumé » : « Messieurs les jurés, la peine sera ce que vous voudrez. »

Et combien ce spectacle est plus pénible encore si, quittant les généralités, nous touchons en passant à quelques cas particuliers.

Cette fille a tué son enfant nouveau-né. Quelle peine a-t-elle encourue ? La peine est un peu dure ; ce n’est point celle du « meurtre », mais bien celle de l’ « assassinat », c’est la peine de mort. Or, il y a quelque temps que les mœurs ont sauvé du bourreau la mère misérable et coupable qui a commis le crime d’infanticide. Il y a toujours dans les affaires de cette sorte un complice plus ou moins inconnu, qu’aucune loi n’atteint encore, et dont l’impunité protège, par contraste, la malheureuse accusée. Cependant, il faut une peine. Laquelle ? Le jury peut-il répondre à cette question : « L’accusée est-elle coupable d’avoir volontairement donné la mort à son enfant nouveau-né ? » sans connaître les conséquences de son verdict ? Mais l’avocat a risqué le mot : « Si vous dites oui, c’est la mort ! » Et ces jurés, émus et effrayés par leur tâche impossible, pensent, sans l’oser dire : « Il nous faudrait plus de lumière, il nous faudrait l’explication complète, ouverte, de la loi. » Et tout cela est tellement faux et bizarre que l’on en vient souvent, malgré la loi, à dire la loi à l’audience. Les jurés savent enfin que l’accusée, s’il y a des circonstances atténuantes, ne peut pas être condamnée à une peine inférieure au minimum des travaux forcés à temps.

C’est trop encore ! Pourquoi la Cour, comme en Hollande, comme en Angleterre, n’est-elle pas libre de fixer la peine à son gré, sans autre limite qu’un maximum légal ? Pourquoi, en tous cas, le législateur n’a-t-il pas modifié cette loi sur l’infanticide, inhumaine et inapplicable ? Les jurés n’ont cure de ces choses et ils se préparent à acquitter, quand leur esprit s’arrête sur une autre question qui, dans la même affaire, va leur être posée : « L’accusée a-t-elle supprimé l’enfant né vivant dont elle était accouchée ? » Qu’est-ce que cela veut dire, et quel est ce crime nouveau superposé à l’infanticide et distinct de lui ? C’est un crime qui a eu pour effet de « supprimer l’état civil » de l’enfant. C’est un crime prévu par un texte compliqué de distinctions et