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au jury un guide, la pratique l’a mis dans la main d’un meneur.

Vienne à présent le premier témoignage, mais à la vérité il arrive un peu fard.


XV

Il arrive cependant ; et dans notre affaire célèbre un interminable défilé de témoins le suit. Chacun connaît les périls et les avantages de la preuve testimoniale, et la discussion sur ce point constitue un lieu commun que Quintilien et Bentham, entre autres, ont suffisamment développé. Observons seulement qu’en matière civile, s’il s’agit d’une convention dont l’objet dépasse la valeur de 150 francs, la preuve testimoniale n’est en général pas admise. En matière criminelle, c’est presque toujours aux témoignages qu’il faut recourir, les assassins n’ayant point l’habitude de passer acte de leurs méfaits par-devant notaire. La Cour d’assises a donc été constituée pour la preuve testimoniale, elle y règne et y régnera.

Comment, d’après la loi, cette preuve est-elle « administrée » ; comment s’opère « l’extraction du témoignage » ? Le système de notre Code est, on le sait, fort différent du système anglais ; le juge en Angleterre n’adresse presque jamais de questions aux témoins, et ceux-ci, à charge ou à décharge, sont successivement examinés par l’accusateur et par l’accusé. Chez nous, la « direction » de la preuve testimoniale appartient au président d’assises, mais, sur ce point encore, il y a une notable différence entre la pratique et la loi. D’après la loi, toute déposition doit être spontanée ; on « entend » un témoin, on ne l’interroge pas. Quand le témoin s’est tu, après avoir fourni aux jurés en toute indépendance l’impression de son libre récit, des éclaircissemens peuvent lui être demandés, d’abord par l’accusé, ensuite par les juges, les jurés, le procureur général et même parle président.

Dans la pratique, il arrive trois fois sur quatre que la « déposition spontanée » se réduit à quelques mots, après lesquels le témoin est longuement interrogé par le président des assises. L’accusé, l’accusateur et les jurés ne sont admis qu’ensuite à poser des questions. Ces habitudes peuvent offrir certains avantages, mais leur inconvénient capital est de mêler le président à la lutte, de le conduire à des duels successifs avec l’accusé ou avec les témoins, de l’obliger à abandonner de plus en plus son rôle d’arbitre.

Il y a une autre différence essentielle entre le système anglais et le nôtre. À Londres, le témoin ne doit être entendu que sur les faits dont il a connaissance par lui-même et d’une manière