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La presse est présente et contrôle tout, c’est elle qui constitue la publicité. La salle est une sorte de puits étroit et sombre ; elle est plus exiguë que la moins grande des chambres correctionnelles au palais de Paris. A coup sûr les gens parqués dans ce trou noir et incommode y sont venus « pour affaires » et non pas « pour la galerie ». C’est là, dans ce lieu mesquin et presque misérable, qui ne garde même pas, dans sa nudité bien lavée, le cachet de sa vétusté, que depuis quelques siècles fonctionne le jury, et que, par les efforts d’un peuple opiniâtre, on a vu la justice la plus indépendante et la plus libérale succéder aux violences et à la corruption. C’est dans cet Old Bailey que fut jugé en 1670 le procès de William Penn, au cours duquel on vit, parmi bien d’autres scènes, les membres de la Cour se jeter sur l’accusé et le renverser en l’accablant d’injures… Ce n’est plus tout à fait ainsi que les choses se passent à présent.

Le seul espace un peu large et commode, dans cette salle grande comme un mouchoir de poche, est une estrade où se tient l’accusé. A sa place, in the dock, il est libre, il peut aller et venir, se lever ou s’asseoir à son gré. Point de soldats autour de lui ; un seul gardien se tient à un petit bureau dans un coin de l’estrade, avec un air de scribe plutôt que de geôlier. Tout de suite, on sent que ce prisoner dans son dock est un être sacré, intangible. Il consulte ses notes, il discute à voix haute d’un ton de. créancier, et il est créancier en effet : on lui doit la preuve de son crime.

Devant ce prisonnier, et séparé de lui par un petit espace, s’étend contre le mur une étroite, longue et dure banquette. C’est là que siègent de temps immémorial, et sans grand souci des solennités symétriques, les shériffs et sous-shériffs de la Cité de Londres, un alderman, souvent le lord-maire, et tout au bout, à une place qui n’est pas la place centrale et que rien ne distingue, un des grands juges d’Angleterre. Les magistrats de la Cité, on le sait, sont là chez eux. Par une tradition ancienne, ils « reçoivent » le juge, et assistent au procès dans leurs fourrures et leurs robes violettes : le lord-maire au milieu, sous le dais et le glaive, les shériffs portant au cou de lourdes orfèvreries, tous allant et venant, peu absorbés par leur tâche décorative, et ayant tout loisir à l’audience pour respirer leurs bouquets de roses fraîches et pour froisser entre les doigts ces brins de feuilles parfumées qui sont en petits tas au coin de leurs bureaux. A la droite du juge et près de lui à le toucher, une tribune où monte le témoin pour faire sa déposition, puis les deux bancs des douze jurés. En face du jury, des gradins incommodes où s’entassent quelques spectateurs privilégiés, les témoins, les reporters, et les avocats