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on les voit tous défiler, ace point héroïques et superbes que nuls soldats des temps passés ne peuvent leur être comparés. Ils ont été, comme le dit M. Frédéric Masson, les derniers chevaliers avant que la guerre ne se transformât de façon à rendre en théorie presque nul l’effort individuel, avant qu’elle ne prît un caractère de sauvagerie scientifique et que ce fût fini des grandes chevauchées à travers l’Europe, tout au moins avec l’allure qu’elles ont eue. On se doute combien un pareil sujet a pu inspirer M. Edouard Détaille. Jamais peut-être le peintre militaire de l’épopée impériale n’a déployé à un plus haut point ses qualités de précision, de science de la composition et du dessin non plus que les éditeurs mis plus de soin pour en faire une de leurs plus magnifiques publications.

Et maintenant que nous avons assisté à la formation de ces incomparables régimens, entendu le récit des batailles où ils se sont distingués, voici qu’un témoin du grand drame de la Campagne de Russie en 1812[1], le major de Faber du Faur, — qui servit dans le 3° corps d’armée en qualité d’officier dans la 25e division composée de Wurtembergeois, et qui ne quittait son sabre que pour saisir ses crayons, — nous fait assister à l’effondrement de ces belles troupes dans une suite d’esquisses prises sur les lieux mêmes et qui remettent sous nos yeux, avec une vérité qu’aucune description ne saurait rendre, le sinistre tableau de cette guerre où une armée supérieure à toutes celles qui existèrent jamais, glorieuse de vingt ans de victoires ininterrompues, succomba vaincue par les frimas du Nord. La 25e division, qui avait été incorporée au 3e corps d’armée commandé par le maréchal Ney, se trouvait au centre même de la Grande Armée, sous les ordres immédiats de Napoléon. C’est assez dire que le major Faber du Faur était en situation de noter au passage les scènes les plus caractéristiques de la marche sur Moscou et de la retraite ou plutôt de la course errante et sans ordre, — défilé lamentable de hordes en haillons, couvertes d’oripeaux bizarres provenant du pillage de Moscou et qui, sourdes à la voix des chefs, fuient avec des allures de troupeaux affolés devant la lance des cosaques de Platov.


On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la Grande Armée, et maintenant troupeau.


Le Journal du major Faber du Faur se compose d’une centaine de planches, représentations des faits principaux de la campagne de Russie tels que le Passage du Niémen, la Prise de Smolensk, la Bataille de la Moscova, l’Incendie de Moscou, le Passage de la Bérésina. On ne peut sans une sorte d’angoisse contempler ces compositions si variées qui par une sorte de miracle ont échappé à la destruction : au feu et à

  1. La Campagne de Russie en 1812, par le major Faber du Faur, 1 vol. in-4o avec dessins de l’auteur ; Flammarion.