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aussi, toute la musique ? Pourquoi n’a-t-il donné qu’un motif de décor et non de symphonie ? Oui, c’est une symphonie qu’il fallait ici, une symphonie d’instrumens et de voix en l’honneur de la terre, de la vieille Cybèle, éternelle nourrice des hommes et des arbres. Il fallait d’abord une autre préparation, une autre annonce que ces quelques mesures d’entr’acte aimable, que cette mince romance de ténor, écrasée, dès que le rideau se lève, par la masse du châtaignier géant. Que veulent ensuite ces trilles, ces vocalises de Xavière ? Cela était bon pour un arbrisseau, pour l’ « aubépin », le « bel aubépin » des Noces de Jeannette. Le « chant du châtaignier » surtout devait avoir une autre envergure. Non que la mélodie en soit triviale ; un symphoniste en eût tiré parti. Il en eût fait le germe d’un grand arbre, qui, dans l’orchestre d’abord, eût poussé un tronc robuste et de robustes ramures. Sur l’arbre sonore tout aurait frémi, chanté : le vent, les feuilles et les oiseaux. Cela n’eût pas suffi encore. Quand le châtaignier aurait vécu en musique, sa vie, par la musique toujours, se fût unie, mêlée à celle des paysans, des batteurs et des ramasseuses. Passant des instrumens aux voix, et finissant par les fondre ensemble, la symphonie eût créé entre les êtres et les choses une communauté mystérieuse, un courant de sympathie et d’amour, et l’on eût compris que ces hommes appartenaient à ces arbres, presque autant que ces arbres leur appartenaient. Enfin lorsque Xavière aurait paru, chantant parmi les branches, au lieu de la pâle héroïne d’opéra-comique que guette un traître de mélodrame, elle eût semblé je ne sais quelle sœur plus jeune ou plus moderne, mais non moins auguste, de la prêtresse druidique, de Norma dépouillant les rameaux sacrés. Encore une fois c’est là qu’était pour la musique le passage ouvert et l’échappée vers les hauteurs.

« Paulo minora… » Descendons de notre châtaignier et laissons la critique négative pour louer — très positivement — une dernière page. Plus qu’une page en vérité, car c’est toute une scène, et qui fait aux jolies scènes du premier acte le plus agréable pendant. Il y a dans Xavière, pour les besoins de la symétrie, ou de l’opposition, deux couples d’amoureux : l’un mélancolique, Xavière et Landry ; l’autre toujours gai : Mélie, la gentille repasseuse, et Galibert, l’infatigable embrasseur de filles. Or, au début du troisième acte, dans la cuisine du presbytère, devisent les petits sous-amoureux. Devant la flamme claire, Galibert tourne, d’une main parfois distraite, une brochette de grives. Et voici que « brûlant de plus de feux qu’il n’en alluma, » l’ardent tournebroche se déclare. Il serre de près la fillette, et dégageant de sa fonction présente tout ce que celle-ci contient d’allégorie ou de symbole, il attaque en forme de rigodon un duo culinaire et amoureux :