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La question étant très générale et de celles qui se posent en tous les temps, M. de Bornier aurait été bien venu à la traiter en tout état de cause et sans qu’elle eût d’application immédiate et voisine. Mais il y a plus. En la portant à la scène M. de Bornier a été convaincu qu’elle venait à son heure ; il a voulu faire de ce drame historique une pièce d’actualité. Cette intention est visible, au point de crever les yeux ; et elle fait au poète trop d’honneur pour qu’on fasse semblant de ne pas l’apercevoir. Il y a une dizaine d’années que le Fils de l’Arétin a été écrit. À cette époque la grossièreté sévissait dans notre littérature ; c’était l’âge héroïque de la pornographie ; la même œuvre dont l’Arétin avait jadis tiré pour son compte honneur et profit, la presse l’accomplissait avec les ressources perfectionnées et la puissance incomparable dont elle dispose. Et peut-être depuis dix ans les temps ne sont-ils pas si changés qu’on puisse affirmer aujourd’hui que la pièce « retarde ». M. de Bornier s’est ému de scandales auxquels il voyait la conscience publique singulièrement indulgente. Il a dénoncé le péril. Aussi il se peut bien que son drame pèche par certaines défaillances d’exécution : il reste la protestation généreuse d’un honnête homme.

Le Fils de l’Arétin a été présenté avec beaucoup de goût par la Comédie-Française. M. Mounet-Sully est, au premier acte, très beau d’attitude ; pendant les autres actes il se tire au mieux d’un rôle qui ne semble pas taillé à sa mesure. M. Le Bargy fait les plus louables efforts pour donner à sa voix et à son geste une ampleur tragique. M. Paul Mounet, Mmes Dudlay, Pierson, Reichemberg, tiennent très convenablement leur emploi.


RENE DOUMIC.