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la bouche des étranges avocats qui plaident ici la cause de la morale. Mais c’est que pour apprécier comme il convient l’œuvre de M. de Bornier il ne faut pas se tenir au sens littéral. Ses personnages, à défaut de valeur réelle, ont une valeur représentative. Ce drame est une forêt de symboles. Et pour une fois que le symbole se présente à nous sous une forme qui n’a rien d’impénétrable, nous ne pourrions sans injustice affecter de ne pas comprendre ce qu’a voulu dire le poète, — et qui valait la peine d’être dit.

L’éloquente tirade que prononce Bayard au premier acte est au centre même de l’œuvre et nous en indique la portée :


Maudites soient du ciel les œuvres de débauche !
Leur influence, hélas ! flattant nos vils penchans,
Commence sur des rois aveugles ou méchans ;
Bientôt, après le chef qui l’aime ou la tolère,
Elle va gangrener la masse populaire.
Et l’œuvre détestable, à chacun de ses pas,
Fait d’autant plus de mal qu’elle descend plus bas !
Moi, soldat, je le sais, je sais que tel ouvrage,
En abaissant l’esprit, abaisse le courage.
Qui pense et qui vit mal ne peut pas bien mourir.
La mort est chaste et veut, quand elle vient s’offrir,
Qu’on l’accueille, le front calme, l’âme affermie,
Les mains et le cœur purs, comme une austère amie.


C’est la voix du prophète jetant l’anathème au milieu de l’orgie. Et l’Arétin dira dans le même sens, songeant aux lecteurs inconnus que ses livres auront empoisonnés :


Oui, peut-être, dans l’ombre, en ce moment, là-bas,
Un jeune homme, un enfant que je ne connais pas,
Pour ce sombre plaisir trouvant les heures brèves,
Sur mes œuvres penché plonge au gouffre des rêves.
Bientôt peut-être au vice, à la honte endurci,
Qui l’aura perdu ? Moi. Je suis son père aussi.


Oublions donc le piètre Orfinio. Au lieu de ce héros de théâtre, imaginons une créature vivante ; donnons-lui les traits de celui entre tous les êtres qui nous tient de plus près au cœur, étant fait de notre chair et de notre sang. Afin de former son âme et de la préserver de tout contact dangereux nous avons fait des miracles. Nous sommes devenus meilleurs afin qu’il eût sous les yeux la leçon de l’exemple. Du plus loin qu’il était possible, dans l’enfant nous avons prévu l’homme. Nous avons tout disposé pour étouffer en lui les germes mauvais que la nature dépose, comme une tare originelle, au cœur de tous les êtres, pour ne rien laisser subsister en lui que de fort, de vigoureux et de sain. Or peu à peu nous nous apercevons que notre parole ne