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dates discutables d’ailleurs, motifs politiques fâcheux, parfois. Je ne puis nier que celle de 1878, par exemple, n’ait été vraiment populaire et ingénieusement opportune.

Après la tourmente de 1870, la France avait à cœur de prouver au monde qu’elle était bien vivante encore, qu’elle avait relevé ses ruines, reconstitué ses forces. Le jour de l’ouverture solennelle, il y eut dans Paris un enthousiasme spontané, une véritable explosion du sentiment national. On ne voyait sur les visages de l’immense foule qui emplissait les rues que de la joie, une joie d’orgueil retrouvé, une joie exaltée sans délire, puissante sans provocation. L’espoir brillait dans tous les regards, comme à toutes les fenêtres pavoisées claquaient les drapeaux réhabilités. La minute que dura ce drame d’un peuple vaincu qui, soudain, se voit revivre, qui, soudain, sent recouler en ses veines, qu’on croyait taries, le sang chaud de sa race ; oui, cette minute-là fut une beauté.

Et pourtant, en dépit de la pensée généreuse qui l’avait inspirée, l’Exposition de 1878 échoua, et dégénéra en mauvaise affaire. C’est qu’elle avait voulu n’être qu’une exposition, négligeant les attractions perverses, les variétés de « ribotes », par quoi l’on capte et l’on retient la foule. Aussi la foule, vite dégrisée de cette passagère ivresse, retournant à ses vrais instincts de foule, regarda un instant ce spectacle auquel elle ne comprenait rien, s’ennuya et partit.

Il y eut des causes plus complexes à cet échec, causes qui se sont singulièrement aggravées depuis. Il faut les chercher dans le changement des conditions qui règlent les rapports des nations entre elles.

Jadis, la France était le plus grand marché du monde, le pays où les autres peuples venaient s’approvisionner. Elle avait sur l’Allemagne, sur l’Italie, sur les autres Etats, une prépondérance industrielle reconnue et vivace qu’elle partageait avec l’Angleterre. Elle les dominait par sa fécondité inventive, la beauté et la qualité de ses productions, la puissance créatrice de son outillage. Le temps de cette hégémonie économique est passé. Chaque peuple tend à s’y soustraire, et à la remplacer. Il veut vivre de soi-même, de son sol, approprier non seulement à son amélioration intérieure, mais à sa pénétration hors des frontières qui le limitent, les énergies de sa race, longtemps sommeillantes et qui se réveillent avec d’autant plus de force, qu’elles furent davantage comprimées. L’Allemagne ne vient plus rien chercher chez nous ; au contraire, c’est elle qui écoule ses produits sur nos marchés. L’Italie, et jusqu’à la Suisse, nous battront bientôt sur le terrain de l’industrie métallurgique. La Russie, anciennement tributaire