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en âge, plus j’aperçois le vide autour de moi et plus je me convaincs que le seul bonheur dans ce monde consiste dans l’affection réciproque des êtres créés pour s’aimer. Ce qui dans votre lettre m’a le plus touché, le plus remué, c’est le désir que vous manifestez de me revoir. Ce désir, est pour moi un ordre et dorénavant je ferai tout ce qui dépendra de moi pour rendre possible cette réunion que je vous remercie de désirer, car elle a toujours été le vœu le plus ardent de mon cœur. Avant-hier encore j’étais décidé à ne rien faire au monde pour quitter ma prison. Car où aller ? Que faire ? Errer seul en pays étranger, loin des siens ? Autant valait le tombeau dans sa patrie. Mais aujourd’hui un nouvel espoir luit sur mon horizon, un nouveau but s’offre à mes efforts : c’est d’aller vous entourer de mes soins et de vous prouver que si, depuis quinze ans, il a passé bien des choses à travers ma ête et mon cœur, rien n’a pu en déraciner la piété filiale. » — « J’ai bien souffert. Ces souffrances ont abattu mes illusions, ont dissipé mes rêves, mais elles n’ont point affaibli les facultés de l’âme ces facultés qui permettent de comprendre et d’aimer tout ce qui est bien. — Je vous remercie bien, mon père, des démarches que vous faites en ma faveur. Dieu veuille qu’elles puissent réussir. De mon côté, je ferai tout (pourvu que cela ne soit pas contraire à ma dignité) pour arriver à un résultat que je désire autant que vous. — Je termine ma lettre avec une impression toute différente de celle que j’avais naguère, car aujourd’hui je puis exprimer l’espoir de vous revoir. Recevez donc, mon cher père, avec bonté la nouvelle assurance de mon inaltérable attachement (19 septembre 1845).

Il écrivit au ministre de l’intérieur (25 décembre 1845) « que si le gouvernement consentait à lui permettre d’aller à Florence remplir un devoir sacré, il s’engageait sur l’honneur à revenir se constituer prisonnier dès que le gouvernement lui en exprimerait le désir. » Le ministre répondit que cette mise en liberté provisoire serait la grâce déguisée, et que la grâce ne peut être obtenue que de la clémence du roi. C’était une invitation de s’adresser directement au roi. Il le fit par une lettre dans laquelle il exprimait la confiance que Sa Majesté comprendrait une démarche qui, d’avance, engageait sa gratitude, et que, touchée de l’isolement d’un proscrit, qui avait su gagner l’estime de toute l’Europe, elle exaucerait les vœux d’un père et les siens (14 janvier 1846).

Un grand nombre de députés, notamment Berryer, Garnier-Pagès, Dupin, Marie, se réunirent à Odilon Barrot et à Vieillard pour seconder sa démarche. Mais on voulait l’obliger à demander pardon, et lui faire acheter la liberté par l’humiliation. Odilon