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Le prince ne se défendit pas. Il couvrit ses coaccusés, exprima son regret d’avoir blessé par mégarde un soldat français, puis se contenta d’expliquer ses intentions et ses pensées. Se plaçant de nouveau derrière le frère aîné de l’Empereur, qui en est le digne héritier, il n’avait voulu que faire appel à la nation : « Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite. Le principe, c’est la souveraineté du peuple ; la cause, celle de l’Empire ; la défaite, Waterloo. Représentant d’une cause politique, je ne puis accepter comme juge de mes volontés et de mes actes une juridiction politique. Vos formes n’abusent personne. Dans la lutte qui s’ouvre, il n’y a qu’un vainqueur et qu’un vaincu ; si vous êtes les hommes du vainqueur, je n’ai pas de justice à attendre de vous et je ne veux pas de générosité. » Il n’en obtint pas. Il fut condamné à la détention perpétuelle dans une forteresse du royaume, Montholon et Persigny à vingt années, Conneau à cinq. « Monsieur le greffier, dit le condamné lorsqu’on lui lut la sentence, on a souvent répété que le mot impossible n’était pas français ; il en est de même, soyez-en sûr, du mot perpétuel. » Le prince fut emprisonné, en compagnie de Conneau et de Montholon, dans les chambres où avaient été renfermés les ministres de Charles X. Persigny fut placé à Doullens.

C’est la tête tristement appuyée sur sa table de prisonnier qu’il assista mentalement au retour des cendres. « Sire, vous revenez dans votre capitale et le peuple en foule salue votre retour ; et aucun de vos parens ne conduira votre deuil, et moi, du fond de mon cachot, je ne puis apercevoir qu’un rayon du soleil qui éclaire vos funérailles. Mais, du milieu de votre somptueux cortège, dédaignant certains hommages, vous avez jeté vos regards sur ma sombre demeure, et vous souvenant des caresses que vous prodiguiez à mon enfance, vous m’avez dit : Tu souffres pour moi, ami, je suis content de toi. »

« L’opinion de ces gens-là, a répété Napoléon Ier en parlant des hautes classes, est toujours en raison inverse de celle du public[1]. » On peut dire de même des hommes de parti que leur intelligence a des œillères systématiques. Ils avaient souri de Strasbourg, ils n’eurent pas assez de mépris pour Boulogne. « J’ai suivi le procès, écrit Falloux, de plus en plus convaincu, d’audience en audience, de l’inanité des espérances napoléoniennes. » Le spirituel Doudan appelait le prince « le nigaud impérial ». La Presse — dans un article qu’on attribua à Granier de Cassagnac — protestait que personne en France ne pouvait

  1. Lettre du 4 avril 1807.