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si elle rétablissait l’empire, c’est à vous qu’il appartiendrait. Les malédictions dont vous me foudroyez ne me troublent pas. Si l’Empereur me voit du haut du ciel, il sera content de moi. Mon entreprise a avorté, mais elle a annoncé à la France que la famille de l’Empereur n’était pas encore morte ; qu’elle comptait encore des amis dévoués ; que ses prétentions ne se bornaient pas à réclamer quelques deniers, mais à rétablir en faveur du peuple ce que les étrangers et les Bourbons avaient détruit. Voilà ce que j’ai fait ; est-ce à vous à m’en vouloir ? »

L’obligeant Huber-Saladin se crut tenu aussi de protester : il écrivit à la reine Hortense une lettre virulente traitant le prince de fou. Plus tard l’Empereur, qui le recevait à Châlons, en qualité d’attaché militaire de la Suisse, lui rappela son propos. « Avouez, dit-il, que si ce fou n’avait pas fait ses folies, vous ne seriez pas assis à côté de l’Empereur. »

En Amérique, le prince rencontra un de ses chers amis italiens, le comte Arese, et ses cousins Murat. Il songeait à se créer une situation lorsqu’il apprend que sa mère est gravement malade. Il se décide aussitôt à partir. Il annonce en l’expliquant sa résolution au président des États-Unis. À Londres (10 juillet 1838), sous le prétexte mensonger qu’il a promis de ne plus revenir en Europe, on lui refuse son passeport. Il met en défaut la surveillance des polices allemandes et arrive à Arenenberg à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère.

Dans la succession, il trouva à peu près cent vingt mille livres de rente, et de précieux souvenirs ; un surtout, dont il ne se sépara jamais : le talisman. C’était un bijou contenant un morceau de la vraie croix, trouvé au cou de Charlemagne dans son tombeau, et envoyé lors du couronnement à Napoléon Ier. Dans la famille on attachait à sa possession une promesse de protection divine. Joséphine, non sans peine, obtint d’en rester la dépositaire. Après le divorce, on ne le lui retira pas. Hortense le recueillit.

Un talisman plus précieux encore lui fut une lettre de sa mère restée dans ses papiers et contenant une bénédiction ardente : « Nous nous retrouverons, n’est-ce pas ? dans un meilleur monde où tu ne viendras me rejoindre que le plus tard possible, et tu penseras qu’en quittant celui-ci, je ne regrette que toi, et ta bonne tendresse qui, seule, m’y a fait trouver quelque charme. Cela sera une consolation pour toi, mon cher ami, de penser que par tes soins tu as rendu ta mère heureuse autant qu’elle pouvait l’être ; tu penseras à toute mon affection pour toi, et tu auras du courage. » Mme Salvage, l’exécuteur testamentaire, lui communiqua