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mais il n’a aucun moyen légal d’imposer une volonté « que maints indices révèlent, tant que le suffrage universel ne sera pas une loi fondamentale de l’État. » Dès lors, il faut aller à lui, briser par un coup de main audacieux la muselière qui l’empêche de faire entendre sa voix. Se jeter inopinément au milieu d’une grande place de guerre, y rallier le peuple et la garnison par le prestige de la légende, l’ascendant de l’audace, se porter aussitôt sur Paris avec toutes les forces disponibles, entraînant troupes et gardes nationales, peuple des villes et des campagnes, enfin tout ce qui serait électrisé par un grand spectacle et une grande cause ; en un mot, recommencer le retour de l’île d’Elbe sans l’Empereur. Strasbourg parut la ville la plus favorable à la tentative. Le gouvernement y était peu en faveur et avait été obligé de licencier la garde nationale. Si on enlevait la garnison de 8 000 à 10 000 hommes, on pouvait tout espérer. Ce fut donc à nouer des intelligences à Strasbourg, puis dans l’armée, qu’on s’employa. Le prince venait de publier son excellent Manuel d’artillerie. L’offrir donnait un moyen d’aborder les officiers et les journalistes. Parmi ceux-ci, Armand Carrel se montra sinon favorable, du moins très bienveillant. « Les ouvrages politiques et militaires de Louis-Napoléon annoncent une forte tête et un noble caractère. Le nom qu’il porte, dit-il, est le seul qui puisse exciter les sympathies populaires ; s’il sait oublier ses droits de légitimité impériale pour ne se rappeler que la souveraineté du peuple, il peut être appelé à jouer un grand rôle. »

En août 1836, pendant un séjour à Baden, le prince, ayant acquis le concours du colonel Vaudrey, du 4e régiment d’artillerie, et organisé sa petite armée, résolut de ne plus tarder. Il rappela Persigny en mission à Londres. Persigny n’avait point d’argent il en emprunta à un jeune Français rencontré dans son hôtel, qu’on nommait de Falloux. Pénétré de reconnaissance, il lui raconte qu’il va rejoindre en Suisse le prince Louis-Napoléon, auquel il est tout dévoué, et qui l’appelle. Il l’engage à l’accompagner afin de constater que là est l’avenir de son pays. Falloux lui répond par la fidélité de ses sentimens légitimistes ; Persignv lui dit avec solennité : « Vos yeux s’ouvriront. Le prince Napoléon régnera et vous ferez partie de son premier ministère. — Promettez-moi, répondit Falloux éclatant de rire, que vous me donnerez mon portefeuille ? — Eh bien, monsieur, je vous le promets. »

Pendant les jours qui le séparaient de l’action arrêtée, sa mère même ne devina rien de ses pensées secrètes. Il paraissait tout entier à un projet de mariage avec sa cousine Mathilde.

La princesse Catherine de Wurtemberg, femme de Jérôme,