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puissance qu’ils croient que je regrette. La seule chose dont j’ai besoin, c’est toi et le soleil. Même la patrie je ne la regrette pas ; je l’ai trop aimée, pour n’être pas froissée de son ingratitude (16 décembre 1832). »

Le jeune homme avait toujours protesté avec une douceur inaltérable, inflexible : « Vous me parlez de mon nom. Hélas ! c’est un fardeau de plus quand on ne peut le faire valoir (7 décembre 1832) ! » — « Vous vous plaignez de l’injustice des hommes, et moi j’ose dire que vous avez tort de vous en plaindre. Comment les Français se souviendraient-ils de nous, quand nous-mêmes nous avons tâché, pendant quinze ans de nous faire oublier ; quand, pendant quinze ans, le seul mobile des actions de tous les membres de ma famille a été la peur de se compromettre, et qu’ils ont évité toute occasion de se montrer, tout moyen de se rappeler publiquement au souvenir du peuple ?… Je suis fâché de vous voir tourmentée par des affaires d’intérêt… Ce n’est pas la fortune qui rend indépendant, c’est le caractère, et demain, s’il fallait vendre tous mes objets de luxe, qui se bornent à mes chevaux, et travailler pour vivre, je me trouverais sinon aussi content, du moins aussi heureux et aussi indépendant (10 juillet 1834). »

Peu à peu, il avait groupé autour de lui un petit noyau de fidèles, décidés à le suivre partout : le docteur Conneau, les commandans de Bruc et Parquin, le lieutenant Laity. À leur tête marchait Persigny. Était-il de Persigny ou simplement Fialin ? Je n’ai pas cru intéressant de m’en enquérir. Il se prétendait réellement vicomte de Persigny. Un de ses amis, au temps de sa liaison intime avec Gramont-Caderousse, lui demanda : « Mais que vous dites-vous donc dans vos interminables tête-à-tête ? — Nous parlons de nos ancêtres », répondit-il. Admettons donc qu’il avait des ancêtres. Ces ancêtres l’avaient laissé fort pauvre. Entré dans l’armée comme simple soldat, il était sorti de l’École de cavalerie de Saumur avec le premier numéro. Fanatisé par la légende napoléonienne, il abandonna à la, fois le service et les opinions légitimistes qu’en homme bien apparenté il avait adoptées d’abord, et fonda une revue bonapartiste : l’Occident français. Mis en relations avec le prince, il obtint d’être attaché à sa personne en qualité de secrétaire. « Je sers » fut désormais sa devise comme la règle de sa vie. Il apportait à son chef un entrain aimable, une spontanéité rouée, du coup d’œil, du courage, de la ténacité. George Sand, qui le rencontra dans un de ses voyages de propagande, le jugea un jeune homme charmant et d’un esprit très remarquable.

La conception du prince était claire. Le peuple est bonapartiste,