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À la suite des Rêveries il reçut le titre de citoyen de Thurgovie ; après les Considérations, celui de citoyen de la République helvétique ; enfin, en 1834, sur la proposition de Tavel, vice-président du conseil exécutif, le canton de Berne le nomma capitaine du régiment de l’artillerie cantonale. Ces distinctions fortifièrent ses sentimens républicains. « Tout cela me prouve, écrivait-il à sa mère, que mon nom ne trouvera de sympathie que là où règne la démocratie (17 juillet 1834). » — « Vous avez bien raison, répétait-il à Vieillard, ce n’est pas dans les salons dorés qu’on me rendra justice, mais dans la rue. C’est là qu’il faut que je m’adresse aujourd’hui pour trouver quelque sentiment noble (28 février 1834). »

La vie à Arenenberg était d’ordinaire sévère et monotone. Du château « situé sur une espèce de promontoire à l’extrémité d’une chaîne de collines escarpées, on jouissait d’une vue étendue mais triste. Cette vue domine le lac inférieur de Constance, qui n’est qu’une expansion du Rhin sur des prairies noyées. De l’autre côté du lac on aperçoit des bois sombres, restes de la Forêt-Noire, quelques oiseaux blancs voltigeant sous un ciel gris et poussés par un vent glacé[1]. » Les événemens étaient le passage d’un bateau à vapeur, un piquet plus ou moins bien placé sur le tracé d’une route, l’arrivée du facteur, moment heureux quand il apportait des nouvelles de la patrie ou des amis fidèles, douloureux quand il apportait une lettre de Florence. Avec un battement de cœur il les recevait, avec un serrement, de cœur il les refermait[2]. Toujours dures, elles étaient souvent blessantes.

Quoi qu’il fasse, son père le blâme. Le choléra ayant éclaté en Toscane, annonce-t-il qu’il accourt, son père affecte de voir en ce mouvement de piété filiale une prévision d’héritier et lui enjoint de s’abstenir. Voyage-t-il avec un jeune Italien très distingué, le comte Arese, le père est furieux. Loue-t-il la conduite de l’ancien roi de Hollande, le père est furieux. « La politique d’un homme tel que l’Empereur ne doit pas être jugée sévèrement par un jeune homme de 21 ans, surtout quand ce jeune homme est son neveu. » Se rappelant que les Bonaparte ont dû au peuple leur pouvoir, dit-il que le peuple est le plus juste de tous les partis, le père est furieux : « Le peuple est le plus injuste de tous les partis, » etc. D’une manière générale, son père lui notifie que tous ses ouvrages sont remplis d’incohérences, de légèretés, d’inconvenances ; dans une écriture indéchiffrable il lui reproche d’avoir une écriture indéchiffrable. On comprend

  1. Chateaubriand.
  2. A sa mère, 11 avril 1835.