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âge où l’amour d’une mère ne suffit plus à remplir le cœur « J’ai tellement besoin d’affection que, si je trouvais une femme qui me plût et qui convînt à ma famille, je ne balancerais pas à me marier. Ainsi, mon cher papa, donnez-moi là-dessus vos conseils (15 décembre 1831). » Le père lui répond que l’essentiel « pour éviter les malheurs trop connus dans cet état était de ne pas être amoureux. » Sur cette peu encourageante consultation, il s’étourdit par le travail : il passait ses jours et une partie de ses nuits sur ses cartes et sur ses livres. Il publia presque coup sur coup les Rêveries politiques (1832) et les Considérations politiques et militaires sur la Suisse (1833). Dans ses écrits de jeunesse, on retrouve les convictions que les années ont modifiées dans leur forme, mais dont la substance constitue l’unité de sa pensée. Avant tout, le dévouement à cette idée des nationalités que la France démocratique élaborait, en la plaçant comme lui sous l’autorité du prophète de Sainte-Hélène. « L’empereur Napoléon devait mettre un terme à l’état provisoire de l’Europe après la défaite des Russes et l’abaissement du système anglais. S’il eût été vainqueur, on aurait vu le duché de Varsovie se changer en nationalité polonaise ; la Westphalie se changer en nationalité allemande ; la vice-royauté d’Italie se changer en nationalité italienne. »

Les nationalités, c’est pour la politique extérieure. Pour la politique intérieure, c’est le socialisme, mot équivoque, bien ou mal famé suivant le sens auquel on s’en sert, qui dans sa langue signifiait, comme dans celle de Saint-Simon, que le but essentiel de la politique doit être l’amélioration du sort matériel, intellectuel et moral du plus grand nombre. Il allait alors jusqu’à la limite extrême : « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler (art. XII). »

Sur la question même de la forme du gouvernement il entrait dès lors dans la contradiction sous laquelle il s’est débattu toute sa vie : il était à la fois républicain et impérialiste. « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution ; une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures (art. XIV).» Et en même temps il se proposait de rétablir les institutions napoléoniennes. L’antinomie paraît insoluble. Il s’en tire en décidant que le gouvernement serait monarchique à la vérité, mais qu’à l’avènement de chaque nouvel empereur la sanction du peuple serait demandée. Si elle était refusée, les deux Chambres proposeraient un nouveau souverain au peuple indistinctement admis à concourir à l’élection.