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Hortense était une svelte personne aux yeux bleus, au teint éblouissant, toute séduction et agrément, quoique sans beauté. D’un esprit gai, brillant, léger, d’une humeur capricieuse, avide de mouvement, de distractions, aimant la peinture, la musique, la toilette, le bel esprit des conversations, les parties de plaisir. les fêtes ; d’une bonté pour tous qui ne se défendait pas assez de dégénérer en préférence pour quelques-uns, d’une amabilité côtoyant de si près la coquetterie qu’il était souvent malaisé de l’en distinguer, elle détonnait de toutes manières sur la morosité grave et sentimentale de son tranquille mari. De semblable ils n’avaient que l’opiniâtreté, agréable chez elle, grincheuse chez lui : on l’appelait, elle, la douce entêtée. Ils eurent de la peine à s’accorder à peu près. Cependant de leur union naquirent trois fils, tous légitimes, quoi qu’en ait dit la calomnieuse histoire de la haine. Hortense ne fut jamais pour son beau-père qu’une fille tendre, dévouée, respectée. Si la douleur que l’Empereur ressentit de la mort du premier des enfans de son frère (5 mai 1807) fut vive, c’est parce que sur la tête de ce jeune Napoléon, remarquable par sa beauté, sa précoce intelligence, il avait placé ses espérances d’hérédité. Il est aussi faux d’attribuer à l’amiral hollandais Verhuel la paternité du troisième enfant, Louis-Napoléon (né le 20 avril 1808). L’amiral se trouva en effet aux Pyrénées dans les mois qui précédèrent la naissance, mais à Barèges et non à Cauterets, où il vint une seule fois dîner avec la reine en courtisan cherchant la faveur, non en favori qui en jouit, tandis que roi Louis, réconcilié avec sa femme à la suite de la mort de leur fils aîné, vivait avec elle dans une complète intimité maritale[1].

La mésintelligence entre les époux ne recommença qu’à Paris, sur le refus d’Hortense de suivre son mari en Hollande pour faire ses couches. Le prince Louis naquit rue Cerutti (aujourd’hui rue Laffite). Joséphine annonce joyeusement la nouvelle à Louis : « C’est un prince ! Il est beau, il est charmant ! il sera grand homme comme son oncle : espérons qu’il ne sera pas boudeur comme son père. » « J’espère, ajoutait Napoléon à Hortense, qu’il sera digne de son nom et de ses destinées. » L’enfant, baptisé à Fontainebleau en 1810, eut pour parrain l’Empereur et pour marraine Marie-Louise.

L’Empereur n’était satisfait de son frère ni comme roi de Hollande, ni comme mari. Il le trouvait trop bon comme roi et pas assez comme mari. Il ne le lui laissait pas ignorer : « Un prince qui, dès la première année de sa vie, passe pour être si bon

  1. Voir les Mémoires du maréchal de Castellane publiés récemment par sa fille Mme la comtesse de Beaulaincourt avec autant de zèle que d’intelligence.