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musical, l’équilibre ou la fusion de la mélodie et du récitatif. Plus de rigueur, plus de bornes surtout, comme disait Gounod lui-même ; toujours des bases, comme il disait aussi. Sur les pages du vieil et cher album, avec quelle aisance court la ligne chantante ! Quelle subtile main dessina cette figure de femme En faut-il rappeler tous les traits ? Dirons-nous la rêveuse langueur des premières paroles : Hélas ! moi le haïr ! Et puis, de ce mouvement soudain : Qui m’écoute ! la surprise fière, « et même un peu farouche ». M’aimes-tu, poursuit la douce questionneuse, et deux accords, prévenant Roméo, se hâtent de répondre pour lui. Sans cesse renaissant, coupé toujours, haché nulle part, le dialogue n’est pas moins un que divers. Tantôt ce sont des mouvemens brefs, des lueurs qui passent, des insinuations ou des réticences, tantôt de larges périodes et des effusions lyriques. Partout ici Juliette joue le rôle principal et nous apparaît autrement décidée, autrement active que Marguerite. Elle ne s’abandonne pas, elle se donne volontairement, et de ce don spontané l’enfant, non moins sage qu’aimante, fixe elle-même les conditions saintes. Avec quelle loyauté et quelle chasteté hardie ! Dans les transports et les sermens alternés des deux amans se trahit le sens le plus délicat de l’amour féminin et de l’amour viril. Deux phrases qui se répondent les caractérisent et les distinguent l’un de l’autre. Elles se ressemblent et diffèrent à la fois. les deux phrases que nous voulons dire : celle de Juliette : Et mon honneur se fie au tien, et la réplique de Roméo : Ah ! je te l’ai dit, je t’adore. Même rythme en toutes les deux, mouvement identique et pareille envolée des harpes ; mais plus large, animé par un souffle plus mâle, exhalé d’une plus robuste poitrine, le chant de Roméo se répand avec plus d’emportement et de magnificence. De l’accompagnement aussi les notes plus nombreuses (quatre par temps au lieu de trois) font plus rapides et plus chaleureux des arpèges que l’unisson des violoncelles vient encore fortifier. Ainsi tous les élémens de la musique concourent à la perfection de l’analyse morale. Ainsi les rapports et les valeurs sont gardés entre les deux figures. Ainsi la variété s’introduit dans ce qui pouvait être monotone, et dans ce qui pouvait être confus et vague, l’exactitude, les nuances et les distinctions.

L’acte s’achève sans hâte. Des parenthèses charmantes, de gracieux détours le retardent. C’est la phrase de Juliette : Comme un oiseau captif, où la musique imite et reproduit presque l’image pittoresque de la poésie ; c’est le doux nocturne par lequel avait commencé l’acte et par lequel il finit. Que ceux qui ne font entre Faust et Roméo nulle différence, écoutent cet épilogue en se souvenant