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La paix ! c’est un des mots qui reviennent le plus souvent dans les lettres datées de ce printemps provençal.


« Oh ! soupire-t-il un jour, oh ! le bonheur de la paix et la paix du bonheur ! »


Il écrivait encore :


« Décidément c’est le parlage qui ne me va pas. Je peux tout (tout ce que je peux s’entend), dès qu’il n’y a autour de moi ni bruit ni mouvement, c’est-à-dire aucune agitation de corps ni d’esprit. Mais le tourbillonnage, le va-et-vient continuel, me tuent les idées, et à Paris on parle tant et si souvent ! Il me semble qu’on ne fait que cela, et qu’on regarde le silence comme un tombeau. Un tombeau ! Mais c’est un paradis que le silence. Il nous dit tant de choses, et tant de bonnes, pendant que nous nous taisons. »


Il se taisait, et tout chantait autour de lui et en lui.


« La campagne est ravissante. Avant-hier je me suis installé au bord d’un ruisseau et j’ai fait un morceau du rôle de Mireille : Heureux petit berger. J’étais dans un calme profond ; l’écorce luisante et unie des petits arbres qui bordent cette rivière mignonne semblait rire… Les oiseaux célébraient sans doute une de leurs fêtes dans les arbres voisins, car c’était un concert de virtuoses… De longues herbes souples et touffues tapissaient le fond du ruisseau et semblaient du velours sous du diamant… Tu n’as pas idée de la pureté et de la jeunesse du ciel de ce matin. Il y a quinze ans dans la transparence et la limpidité de l’air. L’aubépine est maintenant dans une telle exubérance de floraison, que la campagne a l’air de faire sa première communion. On dirait que tout ce qu’il y a d’anges au ciel et de jeunes âmes sur la terre s’est changé en buissons fleuris pour souhaiter Dieu aux passans. »

Jeune et pur comme le ciel de cette matinée est le premier acte de Mireille. Dans la transparence et la limpidité de cette musique, dans la sveltesse et jusque dans la gracilité des formes, là aussi, là partout il y a quinze ans. Quinze ans dans le chœur des magnanarelles dépouillant les mûriers, dans le premier aveu de Mireille, dans le duo avec Vincent que couronne un mouvement, un geste musical d’une grâce en quelque sorte plastique ; quinze ans dans le délicieux duo de Magali ! Gounod dut l’écrire aussi près du ruisseau courant sur les herbes souples, car il court lui-même, le dialogue agile, et sous la dernière reprise de la fluide mélodie, les longues tenues du chœur semblent étendre un tapis de velours.

Le maître voulut voir aux Saintes-Maries de la Mer la place où Mireille était morte.


« Il m’a été très utile de voir. J’ai visité et en quelque sorte palpé par les pieds cette terrasse de la chapelle supérieure, terrasse du haut de laquelle Mireille expirante plonge ses derniers regards sur cette admirable mer dont