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doucheuse. C’est une occasion d’initier les moins mondains d’entre nous à tous les raffinemens du luxe moderne ; on expose sous nos yeux charmés meubles et tentures, rubans, mousselines, des étoffes très Liberty, des amours de canapés, un lit merveilleusement suggestif. Mais ce que nous aimons surtout dans ces gracieuses exhibitions, c’est qu’on nous y montre des femmes qui se déshabillent. Ce point est essentiel, et pas plus dans Amans que dans Viveurs on n’a eu garde de l’omettre. A la Renaissance c’est Mme Jeanne Granier que nous avons le plaisir très vif de voir en corset ; au Vaudeville c’est non seulement Mme Réjane, mais plusieurs autres dames aussi, pareillement jeunes, jolies, et faites à ravir. Nous ne nous en plaignons pas. Certes non ! Et si nous avons quelque regret c’est plutôt de ce que la beauté de ces dames s’enferme encore dans la prison du corset. Mais il faut laisser quelque chose à faire au théâtre de demain. Décor et figuration s’unissent pour former un ensemble séduisant, pimpant, émoustillant. C’est un cadre tout de gaieté, de clarté, d’élégance et de coquetterie. Cela est très important. Cela crée une atmosphère. On sait que les choses, suivant l’atmosphère où elles baignent, changent de valeur et de signification. Dans tout autre cadre les tableaux qu’on va nous présenter nous répugneraient. Nous ne supporterions pas ces personnages ignobles exprimant dans un langage approprié des sentimens ignobles. Le parisianisme fait tout passer. C’est le pavillon qui couvre la marchandise. Grâce au prestige de l’étiquette moderne, les pires vilenies se teintent de nuances charmantes et acquièrent cette délicatesse que toute la presse — un peu sévère peut-être pour M. Lavedan et volontiers malveillante aux situations acquises — a célébrée surtout dans la pièce de M. Donnay.

Dans ce décor le Paris qui prend place, c’est naturellement le Paris qui s’amuse, le seul qui compte au surplus ; car pour ce qui est de l’autre, du Paris qui travaille, qui pense, qui vit, le théâtre ne lui fait guère l’honneur de s’occuper de lui. Amans nous ouvre le monde de la galanterie, qui d’ailleurs n’a pas l’air d’avoir beaucoup changé depuis le temps du Demi-Monde. Claudine Rozay y occupe une jolie situation, ayant de la tenue et certaines vertus bourgeoises. Elle a pour protecteur le comte de Puyseux. Son amant, Georges Vetheuil, est l’ironique tendre, le doux sceptique qui se moque de soi comme des autres, le bon blagueur de qui la blague commence par lui-même. Ce type paraîtrait partout ailleurs un peu trop passé de mode et défraîchi ; sur le boulevard il continue d’être bien vu. Le boulevard est plus conservateur qu’on ne croit. Puis c’est un lot de filles de marque inférieure. Viveurs nous introduit dans le monde de la bourgeoisie qui fait la fête. Voici Dupallet, le « vieux marcheur » ; Paul Salomon, le « faux juif », homme de bourse et homme déplaisir ; Guénosa, le docteur exotique, vendeur d’orviétan pour une clientèle de surmenés et de