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Restauration offrait un dérivatif à ces politiques. Ce qui surgit à distance au premier plan de cette époque, n’est-ce pas la magnifique rénovation de poésie, d’art, d’histoire qui remplaçait la gloire militaire de l’Empire et en donnait presque la contre-valeur ? La correspondance des amis de M. de Barante nous réservait à cet égard un vif étonnement : sauf pour les travaux historiques où ils prenaient intérêt, parce que plusieurs d’entre eux y participaient, l’incuriosité de ces hommes distingués passe toute attente, ils n’aperçoivent pas l’éclosion qui se fait autour d’eux. Nous n’en connaîtrions presque rien, si nous n’avions sur la Restauration et sur le gouvernement de Juillet d’autre document que ces cinq volumes de lettres. Il y est beaucoup parlé de l’Histoire des Ducs de Bourgogne, naturellement, et un peu de Walter Scott, dont cette société raffolait : c’est là pour eux tout le bilan du romantisme.

Aussi chercherait-on vainement dans les impressions de Mme de Broglie le reflet d’une aube qui n’a pas lui, semble-t-il, dans l’atmosphère où elle vivait. Seul, Lamartine attira son attention. En 1820, quelques mots pour mentionner le lever de l’astre : « Il n’y a guère d’événemens, excepté Marie Stuart (la tragédie de Schiller traduite par Lebrun), dont le succès a été prodigieux. Prosper en a joui en sa qualité de parrain. Il y a eu aussi des poésies d’un jeune M. de Lamartine, qui ont fait fureur. Tu le verras peut-être, il est parti pour Naples. Il a la plus belle figure du monde, c’est un vrai héros de roman, prends garde à ton cœur, chère amie. » Dix ans plus tard, la duchesse reparle du poète, avec sympathie et admiration, mais sans se rendre complètement : « Qu’il y a de belles choses dans M. de Lamartine ! C’est superbe à travers bien du mauvais goût, mais il n’y faut pas regarder. » Quant à Victor Hugo, elle ne le nomme qu’une fois, en 1837, et pour dire qu’elle ne peut pas le sentir. « J’ai fini tout M. Hugo ; mais cela me donne autant de peine à comprendre qu’une langue étrangère… C’est une poésie qui rabaisse au lieu de grandir, et puis, il a une imagination bizarre, et qui n’est point du tout naïve ; il a le secret de toutes ses singularités. C’est comme des gens qui, sans avoir aucune peur, se racontent des histoires bien sinistres. Il n’est ni de son temps, ni de sa langue. » Le jugement est sévère ; le considérant sur l’apprêt à froid ne manque pas de finesse.

C’est à peu près tout ce qu’on relève dans les lettres de Mme de Broglie sur les œuvres littéraires du moment ; et la correspondance de ses amis n’en dit guère plus. Je me trompe : la jeune duchesse écrit un jour à M. Guizot : « Voulez-vous avoir la bonté