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LA QUESTION ARMENIENNE

Et d’abord, y a-t-il une question arménienne ? Etrange point d’interrogation à poser au plus fort d’une crise dont tout le monde s’accorde à affirmer les origines purement arméniennes. Il n’en est pas moins vrai que le problème avec lequel l’Europe est aux prises serait peut-être moins insoluble si, au lieu d’être arbitrairement rétréci et en quelque sorte étranglé, il avait, dès le premier jour, été posé avec l’ampleur que les événemens n’ont pas tardé à lui donner. Non, il n’y a pas de question arménienne : il n’y a qu’une grande et redoutable question d’Orient, dont celle-là n’est que l’une des faces multiples ; et même, à vrai dire, il n’y a pas de question d’Orient séparée de l’ensemble complexe des difficultés qui pèsent sur l’Europe moderne. La question d’Orient est avant tout et par-dessus toute chose une question d’Occident, et la solution en dépend, non pas des données plus ou moins simples qu’offre l’état intérieur de l’empire ottoman, mais du rapprochement, de la confrontation et de la comparaison attentive des intérêts, des droits, des forces, des craintes et des aspirations des grandes puissances de l’Europe.

La question d’Orient ! Elle est née le jour où l’Europe a cessé d’être hantée par le cauchemar de la marée montante de l’Islam, — le jour où, au lieu d’invoquer comme elle le faisait encore, dans les prières liturgiques rédigées au XVIe siècle, l’assistance divine contre la peste, la famine, les tremblemens de terres, les inondations et le Turc, elle a commencé à voir dans le fléau de Dieu un élément de son équilibre.

Cette maladie chronique d’un empire qui ne peut ni vivre ni mourir a eu d’étranges effets sur l’attitude des peuples voisins de la Turquie, ils se sont donné pour but de maintenir le plus longtemps possible en vie un État en pleine dissolution. En même temps ils n’auraient pu, sans renier leur passé, retirer leur protection à leur ancienne clientèle des nationalités chrétiennes, à qui