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sommes comptées à Victor Hugo par Renduel du mois d’octobre 1835 à la fin de 1838, et le total de cette seule liste s’élève à 43 000 francs. Ce chiffre semblera peu considérable aujourd’hui, rapproché du prix exorbitant que le maître exigea pour les Misérables et les Travailleurs de la Mer ; c’était au contraire une somme extrêmement élevée, même répartie sur trois années, au temps où Gautier s’estimait trop heureux de céder Mademoiselle de Maupin pour 1 500 francs.

Il faut lire les traités rédigés avec une minutie extrême et,Surchargés de ratures restreignant encore les droits du libraire, pour avoir une idée des conditions léonines que le poète imposait dés lors à ses éditeurs et dont il exigeait l’exécution à une minute, à un centime près. Le premier traité conclu avec Renduel, — celui pour Marion Delorme, signé le 20 août 1831, soit neuf jours après la première représentation au théâtre de la Porte-Saint-Martin, — est un des plus simples : l’éditeur avait le droit de tirer autant d’exemplaires qu’il voudrait par série de 500, en payant 2 francs par exemplaire à l’auteur qui paraphait tous les titres, les gardait chez lui, ne les livrait que contre argent donné d’avance, par série de 500, et devait rentrer dans sa propriété au bout d’un an. Les conditions sont sensiblement plus dures pour les quatre autres drames que Renduel acheta dès l’origine, mais, à quelques chiffres près, elles sont identiques pour le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo : je me réserve d’en reparler un peu plus loin.

Les 4 00 premiers exemplaires des Feuilles d’automne furent payés 6 000 francs, toujours pour une seule année. Le poète ne traitant jamais que pour un délai très court, dès que cette période finissait, le libraire se voyait forcé de signer de nouvelles conventions, ne fût-ce que pour empêcher l’auteur de porter telle ou telle œuvre à un autre éditeur qui, en donnant le livre à meilleur compte, aurait arrêté net le débit des exemplaires restant en magasin. Tous ces traités et renouvellemens, accumulés à la file, atteignirent bien vite à un chiffre énorme qui montait toujours d’année en année. En 1835, le libraire paya 9 000 francs le droit de réimprimer les Odes et Ballades, les Orientales et les Feuilles d’automne, pour dix-huit mois, et de vendre pendant un an les premiers exemplaires d’un nouveau recueil : les Chants du Crépuscule. Et dès que ce traité approche de sa fin, Renduel en signe un autre où il payait 11 000 francs le droit de republier les quatre recueils durant dix-huit nouveaux mois ainsi que le volume à venir des Voix intérieures pendant une seule année.

Il n’est question ici que des poésies, mais les drames et les