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Andreuccio sa femme de chambre. Le Pérugin était assis seul à la porte de l’auberge, respirant l’air marin. « Messire, dit la soubrette, une noble dame de la ville voudrait bien vous parler. » Andreuccio, convaincu que c’est une bonne fortune qui lui sourit, suit la fille, qui le conduit en une rue équivoque, appelée Malpertugio, Maupertuis, le nom même du castel de notre vieux Renart. Au bas de l’escalier : « Madame ! Voici Andreuccio ! » Et la dame apparaît au haut, richement vêtue, charmante ; elle embrasse l’étranger sur le front, en versant des larmes de félicité. Elle l’entraîne dans sa chambre, toute parfumée de roses et de fleurs d’oranger ; sur des traverses sont étendues des étoffes de soie, « selon la coutume napolitaine. » On s’assied au pied du lit, sur un coffre ; commence une révélation que le jeune homme n’avait certainement point souhaitée : « Andreuccio, je suis ta sœur ! Ton père a aimé ma mère, une veuve de Palerme, et nous a abandonnés, quand j’étais encore toute petite. » Suit tout un roman. Elle a épousé un gentilhomme de Girgenti qui, pour ses relations politiques avec le roi de Naples Charles II d’Anjou, fut chassé de Sicile par le roi Frédéric d’Aragon. Son mari s’est réfugié à Naples, mais le roi angevin l’a comblé de ses faveurs et a rétabli sa fortune. Ayant ainsi parlé, elle l’embrassa derechef et pleura sur le front du jeune homme. Andreuccio, naïf, ne doute point que sa vraie sœur ne soit à ses côtés, il met la dame au courant de ses affaires de famille. Il goûte alors une joie très pure.

Tous deux boivent fraternellement du vin grec et mangent des confitures. Le soir vient. Le Pérugin veut s’en retourner à l’hôtellerie où d’autres courtiers de chevaux l’attendent pour souper. La Sicilienne se récrie : « Quitter si tôt une sœur si chère ! » Elle enverra plutôt un valet prévenir les gens de là-bas qui se mettront bien à table sans son frère. Andreuccio ne demande pas mieux que de demeurer ; il soupe comme un prince et le repas dure jusqu’à la nuit noire. Mais, alors, il est trop tard pour s’aventurer à travers les rues dangereuses de Naples. Donc, le malheureux se résout à ne point sortir avant le jour de cette caverne. À minuit, la dame se retire « avec ses femmes », dans son appartement, laissant les fleurs d’oranger, le lit aux courtines soyeuses et un petit valet à son bien-aimé frère. Celui-ci retire ses vêtemens et s’apprête aux douceurs du sommeil.

Ici, se place un incident, d’une trivialité toute rabelaisienne, qu’il faut bien indiquer, car il importe à la suite de l’action. Souvenez-vous du premier acte du Malade imaginaire. Andreuccio a ouvert une petite porte donnant sur la chambre fleurie, et