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force de volonté. Il n’aime pas l’effort, veut cacher son impuissance, il s’est mis à accuser les hommes.

Tout autre est l’action de ceux qui ont l’expérience de la vie ; ils savent les difficultés, se plaisent à les vaincre : ils ne sont ni rebutés par un délai, ni effrayés d’une étude. Ils ont à leur service cette force lente et irrésistible qui vient d’une bonne méthode. Tels les grands attelages de bœufs d’Auvergne qui labourent tout un champ tandis que des chevaux de course ne creuseraient pas un sillon. Le radical peut gagner un prix de vitesse, mais derrière lui il ne laissera jamais ni une œuvre ni une institution.

Sans remonter dans le passé, quelle leçon nous offre le présent ? Des Chambres affairées et bruyantes, des commissions surchargées de projets, une apparence de travail excessif, et en réalité le spectacle de la plus prodigieuse impuissance législative. Des promesses aussi irréalisables par le nombre que par la qualité, et, quand on cherche les résultats, un très petit nombre de lois. « Ce qui nous sauve, a dit un ardent polémiste, c’est que les Chambres ont une si mauvaise méthode qu’elles ne font rien. Que serait-ce, en vérité, si elles transformaient en lois les 800 propositions qui leur sont soumises ? La France serait perdue ! » Je ne connais pas de boutade plus vraie et plus désolante. Oui, nous serions engloutis sous une avalanche de lois mal faites. Ce serait l’anarchie instantanée ; mais d’un autre côté, dans le désordre qui retarde toute législation, combien de lois utiles, combien de lois urgentes qui sont arrêtées et cependant attendues, non par des politiciens mais par les services qui souffrent, par les intérêts qui gémissent, par la sécurité publique qui est menacée !

Nos pères ont dit avec résignation pendant des siècles : Si le roi le savait ! Nous répétons, à propos de réformes indispensables : Si les Chambres en étaient capables ! et ainsi croît de jour en jour, à propos de tout, dans l’ordre judiciaire aussi bien que dans l’ordre administratif, parmi les hommes de loi comme parmi les hommes d’affaires, un profond scepticisme à l’égard du travail législatif. Cette méfiance trop justifiée n’est pas le symptôme le moins grave de notre état politique.

Pendant que les besoins s’accumulent, que rien ne se fait, tout ce qui pense réfléchit aux réformes nécessaires ; un travail s’accomplit lentement dans les intelligences. Les idées se mûrissent et se développent. Il y a beaucoup de points en quelque sorte acquis entre les esprits éclairés, des réformes toutes prêtes qui attendent, pour entrer dans nos lois, la fin de l’accès de fièvre radicale qui a créé la stérilité législative.

Ce serait une folie que d’entamer tout à la fois, mais il est bon de dresser l’inventaire de l’œuvre à accomplir, Rien ne peut