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nom, ameutant les passions dans toute la France contre un homme et aboutissant à ce terme inévitable d’armer, à force de menaces, le bras d’un assassin. Le crime manqué, socialistes et radicaux ont-ils protesté ? Nullement. Ils ont obéi à un mot d’ordre, en jetant la suspicion sur la police, le doute sur l’attentat.

Nous ne sommes plus là en présence de théories ni de doctrines. On est passé à l’exécution. Des victimes sont tombées ; d’honnêtes gens, de bons citoyens, le Chef de l’État, ont payé de leur sang ces folies criminelles. Elles reprennent sous nos yeux, et le fait le plus considérable de ce temps, c’est qu’il demeure avéré que, depuis dix-huit mois, ni les radicaux, ni les socialistes ne les ont désavouées.


IV. — CE QU’EST UN PARTI

Un historien a dit que l’erreur des hommes était toujours de croire les maux de leur temps incomparables. Je ne sais ce que pensera de nous la postérité ; mais si on réunit les attaques dirigées depuis dix ans contre la société et les actes commis dans ces deux dernières années contre elle, il nous semble qu’on trouve à la fois les menaces et les crimes les plus odieux qu’ait connus notre siècle.

Il ne faut jamais se lamenter dans le vide ni récriminer ; nul ne peut retourner en arrière. A quoi sert de se dire : « Il eût fallu agir plus tôt ! » Nous sommes en 1895 : il faut regarder en avant et calculer ce qu’on peut faire ; ce sera la mesure du devoir à accomplir.

Si les Français, comme nous en sommes convaincu, sont passionnément attachés à leur propriété, aux instrumens de leur travail, à la famille, à leur foyer, si le sang versé leur fait horreur, s’ils veulent conserver autour d’eux tout ce qui constitue la civilisation, ils n’ont plus à délibérer : l’heure est venue d’agir.

Quand on veut constituer un parti avec toutes les conditions de la lutte et de la force, on examine ce qui a été fait dans les pays où ils sont vraiment organisés : aux États-Unis, en Angleterre, en Belgique. Nulle part on ne peut trouver de plus grands modèles. De l’autre côté de l’Atlantique, leur puissance (on l’a montré ici même)[1] va jusqu’à la tyrannie. En Belgique, ils fonctionnent avec une efficacité indéniable. En Angleterre, nous les avons vus de près, dans la lutte récente, manœuvrer comme un instrument de précision, ou plutôt comme ces immenses

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1894, l’étude de M. C. de Varigny sur Tammany-Hall.