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rencontre devant lui de vrais et hardis adversaires, c’est qu’il ne peut sans se perdre découvrir l’ensemble de sa doctrine : il vit de sous-entendus, enrôle ses adeptes en ne leur faisant connaître que ce qui peut les charmer, tient les langages les plus divers, émet les affirmations les plus opposées, se contredit et se coupe. Mais, en attendant que l’offensive résolument dirigée l’ait réduit à néant, quelles théories séduisantes ! Pour les foules ignorantes et misérables, qui souffrent du chômage, que la maladie du chef de famille réduit à la détresse, qui travaillent et s’épuisent sans obtenir la sécurité du lendemain, quoi de plus enchanteur que les promesses du paradis collectiviste ? Ecoutez-les : ils ont un remède pour toutes les misères.

« Les soucis du salaire incertain, du loyer inévitable, des dépenses croissantes, de la maladie qui paralyse, de l’accident qui ruine, de la vieillesse qui affame, tout cela s’évanouit comme un cauchemar odieux ! Ces maux que vos tyrans disent inhérens à l’humanité ne sont que les résultats d’une société imparfaite. A la science, notre universelle maîtresse, nous ne devons pas seulement la vapeur, l’électricité, toutes ces forces magiques qui ont changé notre vie, nous devons bien plus : la connaissance de nos maux et leurs remèdes. Elle nous a appris que la société qui vous opprime était mal constituée. Nous venons vous apporter la bonne nouvelle, l’évangile du travailleur ! Vos enfans ne connaîtront plus vos douleurs. Vous avez travaillé dans la peine : ils travailleront dans la joie ! Tels sont les profits honteux du capitalisme, qu’en donnant chaque jour quelques heures seulement d’efforts, l’humanité satisfera ses besoins avec moitié moins de peines. Propriété et salariat, voilà les deux coupables ; la science a prononcé : délivré de ces deux formes oppressives, l’Etat remettra les hommes et les choses à leurs places et distribuera ses bienfaits à la société régénérée. »

Voilà, sans en retrancher une idée, le chant de triomphe du socialisme. Dépouillons-le des affirmations où se disputent la science et la poésie, et traduisons les mesures qu’il comporte en langage précis, que nous empruntons également au vocabulaire socialiste :

— La propriété est l’erreur la plus grossière d’une société mal faite ; elle vicie tout : il faut la détruire. L’Etat doit posséder le sol. Lorsque le sol aura été nationalisé, l’Etat se chargera de le faire cultiver ; mais le cultivateur n’aura aucun des droits de la propriété, il ne pourra s’approprier aucun des fruits du sol. Il sera payé par l’État en bons d’échange.

— La monnaie sera remplacée par des bons d’échange. L’Etat, chargé de diriger toutes les fabrications, comme il exploite