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4 millions et demi. Des observations analogues se pourraient faire partout. Partout même aspect : petites manufactures qui s’effacent, organismes plus puissans qui surnagent, mais à la condition de multiplier leurs risques en multipliant leur puissance. La marge des gains, comparée au total des ventes, demeure si mince que l’oubli d’un instant suffit à les faire évanouir. L’aléa devient si grand, la tension d’esprit si forte, que les fondateurs de machines pareilles, ou du moins leurs héritiers, sont incités par prudence à passer la main à une collectivité. Ainsi les entreprises grandissent par la force des choses, et par la force des choses se morcellent et se transforment en administrations impersonnelles, heureuses si elles peuvent servir au capital la portion congrue qu’il espère.

Car l’ « odieux capital » n’attend pas que ses adversaires lui fassent un mauvais parti ; de lui-même il se mortifie et fait pénitence, pressé d’un côté par la masse des consommateurs, c’est-à-dire par l’abaissement des prix de vente, de l’autre par les salaires ouvriers, c’est-à-dire par l’augmentation des prix de revient.

S’il veut subsister entre ces forces contraires, il n’a d’autre ressource que de perfectionner son outillage afin de réduire encore les frais de main-d’œuvre. Le public qui croirait, après avoir lu les lignes qui précèdent, qu’un nouvel effort est impossible, les fabricans qui seraient tentés de se décourager, feront bien de méditer le rapport de l’un des plus notables d’entre eux, M. Blanchet, commissaire français à l’Exposition de Chicago, sur les papiers américains. Ils y verront qu’en remplaçant l’intervention manuelle, dans le travail, par toutes les combinaisons mécaniques imaginables ; qu’en supprimant tout transport à bras d’hommes ; en multipliant les rails, les ascenseurs, les câbles, les moteurs, les industriels des Etats-Unis sont arrivés, par la réduction du personnel ; à ce résultat extraordinaire de payer les ouvriers trois fois plus cher que nous, et de vendre le papier au même prix que nous, quoique les matières premières aient une valeur semblable en France et en Amérique, et que les produits fabriqués au-delà de l’Atlantique ne le cèdent à aucun égard aux nôtres. Quels que soient les progrès réalisés sur notre sol par l’industrie du papier, ce rapprochement suffit à montrer qu’elle n’a pas le droit de se reposer encore.


Vte G. D’AVENEL.