Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illustrées, les Darblay, à Essonnes, avec le papier-journal, sont arrivés à des fabrications de 4 000, 6500 et 35 000 tonnes par an. Si l’usine d’Essonnes est la plus vieille de France, ses propriétaires actuels sont relativement jeunes dans une profession où l’on compte nombre de dynasties pouvant prouver plusieurs siècles de papeterie héréditaire. Il n’y a pas trente ans que M. Darblay est fabricant de papier, et il l’est devenu par hasard. La société qui exploitait Essonnes en 1867 ayant fait, sous une direction médiocre, d’assez mauvaises affaires, l’usine fut mise en vente. MM. Darblay, ses voisins, absorbés par leurs moulins de Corbeil dont ils avaient rendu la marque célèbre, n’avaient aucune intention de changer d’industrie. Mais, créanciers pour une forte somme de la fabrique de papier, ils avaient intérêt à ce qu’elle ne se vendît pas à vil prix et crurent devoir, à cette fin, pousser eux-mêmes les enchères. A leur grand désappointement l’usine leur fut adjugée pour un million. Ils s’en chargèrent, et cette race puissante des Darblay se trouva ainsi associée, par la farine et le papier, à deux des révolutions de ce siècle : le pain blanc et le journal pour tous.

C’est en effet pour les journaux que roulent près de moitié de ces vingt machines, qui font d’Essonnes un établissement hors de pair dans la France et dans le monde ; à eux sont destinés la majeure partie de ces 100 000 kilos de papier qui sortent d’ici chaque jour. Journaux de toutes nuances, pour salons ou mansardes, pour mains calleuses ou mains gantées, journaux de tous pays aussi, — l’Amérique du Sud est un gros client de l’usine, — ces feuilles désormais indifférentes ou hostiles, après avoir poussé dans les mêmes forêts, ont eu les mêmes cuves pour berceau de leur nouvelle existence.


VII

Depuis un demi-siècle, sur la surface du globe, la production du papier a décuplé. Elle était de 221 millions de kilos en 1850 ; elle est de 2 milliards 260 millions de kilos aujourd’hui. Notre fabrication nationale s’est accrue dans la même mesure : de 40 000 tonnes au début du second Empire, à 137 000 en 1867, à 350 000 tonnes en 1894. Cependant l’industrie papetière souffre dans la plupart des pays d’Europe ; elle souffre précisément, à l’entendre, de cette abondance même. C’est que, dans l’intervalle, le prix du papier est tombé au tiers de ce qu’il était, tandis que les salaires ouvriers ont doublé, et que la transformation du matériel impose sans cesse de nouveaux débours. Comme les frais fixes jouent, dans