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Si les billets de banque anglais, les plus simples de tous en apparence, sont pourtant beaucoup plus difficiles à imiter que ceux d’autres pays où l’on a prodigué les ornemens fastueux, c’est que leur principale sauvegarde réside dans le papier. Le public ignore tous les pièges tendus au contrefacteur dans cette seule matière première, soit par l’irrégularité voulue du contour, après que la coupeuse à guillotine a séparé les billets fabriqués deux à deux, soit par certaines diversités d’épaisseurs savamment calculées, qui se remarquent en un coin de chaque feuille. Le nombre des billets qui sortent annuellement de l’usine de MM. Portai est d’environ 14 millions, chiffre supérieur seulement d’un sixième aux billets de banque français. Quoique le précieux papier soit surveillé à Laverstoke avec autant de soin qu’un cheval favori de la course du Derby, un vol avec effraction fut commis un jour à la papeterie ; mais les malandrins qui s’étaient emparés d’un stock important furent très promptement pris et déportés.

En Russie le gouvernement se charge de fabriquer lui-même ses billets, dans une papeterie qui lui appartient et qui travaille aussi pour le public. Cet établissement occupe plus de 3 000 ouvriers et forme une véritable petite ville avec église, écoles et hôpital. Le papier des billets et des titres d’États est fait presque exclusivement avec du chanvre, dont le prix est de 88 francs les 100 kilos ; une faible quantité de chiffons y est ajoutée afin de rendre l’impression plus facile. Un bureau technique analyse et contrôle avec le microscope et la photographie la nature de tous les produits employés. Ses recherches portent spécialement sur les modifications à apporter aux dessins et aux couleurs des encres, pour rendre les contrefaçons de plus en plus difficiles, sinon impossibles.

Les États-Unis pratiquent un système mixte. Deux agens du gouvernement résident en permanence dans une papeterie exploitée par l’industrie privée, mais consacrée exclusivement aux bons du Trésor, billets de banques nationales et autres papiers-valeurs de l’État américain. Les chiffons employés sont des toiles neuves, de première qualité, avec un peu de rognures de calicot. Un procédé spécial, imaginé par l’un des chefs de la maison, incorpore à la pâte, d’une manière très régulière, des fibres de soie dont les diverses couleurs sont destinées à distinguer des catégories de billets.

Une qualité exigée, à l’étranger comme en France, de tous ces papiers-monnaie voués à une manipulation incessante, est de posséder sous le plus petit volume une solidité exceptionnelle. Avec l’apparence fluette ils doivent être tout nerfs et tout muscles.