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florit de vieille date, accrochée aux flancs des montagnes, une colonie industrielle qu’illustrèrent les Montgolfier, offre un échantillon superbe du joug imposé par l’homme à une nature rebelle. Ces gaves malfaisans et colères, habiles seulement à détruire, les manufacturiers dauphinois ont su leur donner des lois ; ils obligent les plus grands à payer tribut et leur font acheter la liberté au prix du travail. Sur l’autre versant des Alpes, en Italie, au pied du Mont-Rose, une fabrique qu’alimentent 300 hectares de peuplier plantés entre les rizières, livre à la consommation 80 000 kilos de pâte par jour. L’exemple le plus grandiose en ce genre, c’est celui d’une papeterie américaine, fondée il y a six ans, qui emprunte pour ses besoins 3 000 chevaux électriques, loués annuellement 40 francs chacun, à la chute du Niagara, dont la puissance est aujourd’hui, comme on sait, mise en actions et vendue au détail.


IV

Aussi bien nous sommes prêts pour une nouvelle évolution mécanique que les gens du prochain siècle verront s’accomplir. Ce siècle-ci a remplacé, autant qu’il l’a pu, l’ouvrier par la machine, c’est-à-dire par le charbon, puisque la plupart de nos usines n’ont pas à leur disposition, comme celles de l’Isère, la fonte des neiges, « la houille blanche », et qu’elles marchent à la vapeur : Essonnes par exemple, qui a besoin d’une force de 10 000 chevaux, n’en tire pas plus de 75 du courant de la rivière qui la traverse. Elle obtient le reste avec des appareils de 1 000 chevaux chacun, à côté desquels on a l’illusion d’être sur le pont d’un paquebot en marche, tellement on se sent noyé dans le vent que projettent leurs volans de 10 mètres ; tandis que l’énergie réglée de leurs articulations géantes fait trembler le sol sous vos pieds.

Quoique l’on ait réalisé, dans la production de la vapeur à bon marché, des progrès dont témoignent ici une batterie de 13 chaudières, avec réchauffeurs et récupérateurs de chaleur perdue, le charbon à son tour semble maintenant trop cher. Il devra céder la place à un travailleur moins exigeant. L’usine où nous sommes en dévore un bateau par jour, quelque chose comme 75 000 tonnes par an, une dépense de 1 500 000 francs sans doute. Les améliorations introduites ont réduit la consommation de houille à 272 grammes pour la force motrice, à 350 grammes pour le séchage, par kilo de papier fabriqué sur les machines dont je parlerai tout à l’heure. Mais, avant d’arriver à ce dernier terme de la fabrication, le bois, pour être amené à l’état de pâte, absorbe beaucoup plus de combustible ; si bien que 100 kilos