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en une motte de beurre, puis remonte, — les pièces de sapin sont fendues aussi net qu’une allumette par un canif. — On les jette dans la trémie d’une hacheuse, analogue à un vaste concasseur de pommes ou de raisins : les bûches sont avalées en un clin d’œil par les couteaux d’acier ; elles volent en copeaux qui jaillissent tout autour. Dix minutes suffisent pour engloutir un stère. Il s’agit maintenant d’inspecter ces copeaux, étalés sur de larges tables, pour en retirer les parcelles de nœuds qui pourraient s’y trouver encore. Des femmes procèdent à ce triage minutieux, après lequel le bois est enlevé dans des wagonnets à l’étage supérieur.

Pendant ce temps on a préparé le bain de bisulfite qui doit être fabriqué sur place. Il n’existe pas d’autre mode de production en grand de l’acide sulfureux que la combustion, avec un peu d’air, du soufre, soit pur à l’état natif, tel qu’on le tire de la Sicile, soit combiné avec des métaux à l’état de pyrites. Ce dernier revient beaucoup moins cher que l’autre, dont le prix est de 7 à 8 francs le quintal ; l’économie est appréciable à Essonnes, où 100 000 kilos de soufre sont absorbés chaque mois par 600 000 kilos de pâte chimique. La combustion s’opère dans des fours en briques ; l’acide sulfureux monte, à l’état de gaz, jusqu’au haut d’une tour carrée, divisée par des cloisons intérieures en autant de cheminées. Celles-ci sont garnies de grilles étagées les unes au-dessus des autres et chargées de pierre à chaux. Du sommet de la tour descend goutte à goutte un mince filet d’eau : c’est lui qui doit marier le gaz qui circule avec la pierre inerte qui l’attend. De leur union naît le bisulfite de chaux, liquide incolore, nauséabond, dont l’action dissolvante est telle qu’il détruit en un instant le zinc, le fer ou l’acier. Le cuivre, le bronze, certains cimens ou briques lui résistent un peu mieux, mais se corrodent ou se délitent après un temps plus ou moins court. Le plomb, pourtant si malléable, est le seul des métaux usuels dont il ne puisse avoir raison, le seul qui l’approche impunément.

La lessive du bois, avec ce produit d’un maniement si difficile, se fait dans des chaudières grandes comme des maisons, — elles ont 12 mètres de long sur 4 de haut, — où les copeaux entassés représentent jusqu’à 50 stères. La carapace de tôle, épaisse de plusieurs centimètres, est doublée de couches successives de ciment très dur, de briques vernissées à grand feu et de feuilles de plomb. Une tuyauterie, également en plomb, amène le bisulfite que la vapeur va porter à la température de 130 degrés. Comme cette vapeur ne doit pas être en communication directe avec le bois coupé, qu’elle noircirait, elle est distribuée dans le