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été importé de la Forêt-Noire ; il voyageait en longs poteaux de 18 à 26 mètres, portés par deux wagons couplés. Il vient maintenant surtout de Norvège et de Finlande, en débris de madriers ou de planches, ou en rondins dont la longueur n’excède pas lm, 10, condition indispensable pour éviter le paiement des droits de douane, dont le nouveau tarif protectionniste frappe les bois de charpente ou de menuiserie.

Au lieu de recevoir le sapin brut, beaucoup d’usines françaises achètent leur pâte mécanique en Norvège, tantôt humide et contenant environ moitié d’eau, tantôt sèche et coûtant, en ce dernier cas, 85 francs la tonne. À ce chiffre il faut ajouter un droit d’entrée de 10 francs et une somme égale pour les frais du transport, qui s’effectue jusqu’à Rouen en bateaux de 1 500 à 2 000 tonnes. On remarque un écart très sensible entre cette valeur de 105 francs pour les 1 000 kilos de pâte et le prix de 50 francs que valent, dans ce même port de Rouen, 1660 kilos de bûches entrées en franchise, dont on retirera aussi 1 000 kilos de pâte. Rien que cet écart soit en grande partie absorbé par les frais de fabrication, par l’achat du charbon surtout, de grandes papeteries qui consomment annuellement, comme celle d’Essonnes, 30 000 tonnes de ce produit ont pu réaliser des économies en transformant elles-mêmes la matière première. A bien pénétrer la crise que traverse actuellement la papeterie, on discerne bon nombre de plaintes peu fondées : celles des usines qui ont peine à suivre, avec un outillage imparfait, l’évolution très rapide de leur industrie.

Avant de dégraisser, de décharner ce bois dont le squelette, amolli mais non brisé, va devenir la « pâte chimique », on commence par lui arracher la peau. Des femmes, à Essonnes, s’acquittent de cette tâche. Malgré son costume sommaire, composé d’un jupon court et d’une chemise plus ou moins lâche, la « décorceuse » en action n’est pas de celles dont les charmes inspirent à l’autre sexe des pensées troublantes. On serait plutôt tenté de plaindre cette longue rangée de créatures qui pèlent en hâlant des pyramides de bûches incessamment renouvelées, si l’on ne savait que cet ouvrage a été précisément sollicité par celles qui l’exécutent, comme les détournant moins que tout autre du soin de leur ménage. Une femme, qui apportait à l’usine le déjeuner de son mari, essaya un jour ses forces, en manière de jeu, et demanda ensuite à continuer pour tout de bon. D’autres sont venues peu à peu grossir cet atelier qu’avait créé le hasard ; elles gagnent jusqu’à 3 francs, avec un travail effectif de 6 heures et demie.

Écorcée, la bûche est mise en contact d’abord avec une scie mécanique qui avance, puis recule, — le bois est coupé, — ensuite avec un coin d’acier qui s’abaisse, entre au cœur du rondin comme