Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tandis que l’importation des pailles serait impraticable. C’est ensuite que les Anglais sont beaucoup mieux placés que nous pour transformer l’alfa, en raison du bon marché auquel ils se procurent la soude, la houille et le chlorure de chaux. Il arrive ainsi que les sujets de la reine Victoria écrivent et impriment sur du papier poussé en Algérie, dans une terre française, tandis que nos compatriotes vont chercher dans la Suède et le Tyrol les sapins indispensables à leurs correspondances et à leurs journaux. La paille de la Brie et de l’Auvergne tend à son tour, en effet, à être abandonnée par nos usines. Non qu’elle soit trop coûteuse en elle-même ; seulement sa métamorphose, avec l’abaissement constant des prix du papier, exige trop de frais. Les industriels s’ingénient pourtant à réaliser toutes les économies possibles : les lessives de soude, qu’il y a trente ans l’on jetait à la rivière, étaient une grosse dépense pour le fabricant : 100 kilos de paille ne valaient pas plus de 3 francs, mais pour les faire « cuire », pour en tirer 40 kilos de pâte, il fallait une quinzaine de kilos de soude qui revenaient à 3 fr. 60. Le quintal de papier absorbait ainsi pour 9 francs de ce seul alcali caustique. Grâce à une série d’appareils, on est parvenu à récupérer les neuf dixièmes de ce produit, en faisant évaporer dans des fours les lessives épuisées et les eaux qui servent aux premiers lavages.

Ce qui a été fait pour la soude n’a pu l’être pour le chlore. Cet agent indispensable du blanchiment a le défaut d’ « énerver » la pâte. Il ne donne la beauté qu’au détriment de la solidité ; on en use donc à dose variée suivant qu’il s’agit de fabriquer un papier plus fort ou plus blanc. En général 20 kilos de chlore suffisent pour 100 kilos de pâte ; mais ils correspondent à un débours de 4 à 8 francs, selon les mouvemens de hausse factice dont cette marchandise est parfois l’objet en spéculation. Ces frais accessoires contribuent au discrédit relatif où tombe de jour en jour la pâte de paille. On l’introduit encore dans les papiers qui demandent du claquant, du « carteux » ; mais la « pâte de bois au bisulfite » qui la remplace, fournit une fibre meilleure et se combine mieux avec la pâte de bois mécanique, indispensable aux sortes bon marché.

Sans cesse éveillée en effet, l’industrie n’avait cessé de scruter anxieusement autour d’elle ce qui pourrait bien être transformé en papier. Un novateur avait même préconisé pour cette destination le crottin de cheval. Cet audacieux, nommé Jobard, n’était pas un homme vulgaire ; il est mort directeur du Conservatoire des Arts et Métiers de Bruxelles. Il estimait que la paille et le foin avaient déjà subi une première trituration sous la dent et dans l’estomac des chevaux. « Le crottin, disait-il, est en grande