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creuser autant la cervelle, d’avoir « du papier dans sa poche. » Au XVIIe siècle naissent les gazettes ; au xvin6, les papiers de tenture pour appartemens.

A tous ces rôles que lui faisaient jouer nos pères et qu’il joue encore, mais sur quel théâtre différent ! — au lieu d’une douzaine de journaux tirant chacun quelques centaines d’exemplaires, nous en avons des milliers dont un seul imprime un million de numéros par jour, — à tous ces rôles dont le papier était chargé, nos contemporains en ont ajouté beaucoup d’autres : il doit fournir aux fumeurs l’enveloppe de leurs cigarettes, aux gouvernemens leurs billets de banque, aux commerçans leurs prospectus, aux fleuristes les pétales de leurs roses artificielles. Que d’espèces et de familles depuis les « minces » : papier photographique, papier dentelle, papier de soie, papier doré, buvard, à calquer, à filtrer, à copier, jusqu’aux « épais » : papier-goudron, papier-carte, papier à dessin, papier linge, dont on fait en certains pays, outre les cols et les manchettes que nous connaissons, des nappes et des serviettes, des chemises aussi, des jupons de femme, des caleçons et des chaussettes, — l’infanterie japonaise en est généralement pourvue. Le papier se métamorphose encore, par la compression, en semelles de chaussures, que les fabricans garantissent imperméables, on tonneaux, tuyaux, roues, vases de toutes sortes, en simili-stuc pour l’ornementation des édifices, en couvertures, plus légères et plus résistantes, dit-on, que l’ardoise. Avec lui on construit des cheminées d’usine, voire des maisons entières… incombustibles, et des canots de six mètres de longueur, ni plus ni moins sujets à chavirer que les embarcations ordinaires.

Ce papier, que l’on appelait avec un mépris décidément injuste du « papier mâché », tandis qu’il peut apprendre ainsi à braver et l’eau et le feu, se transforme indifféremment, sous l’aspect rudimentaire de cellulose de bois, en charpie pour panser ou en coton-poudre pour détruire. Bref, l’homme de ce temps, susceptible d’être vêtu et logé dans du papier, possédant une fortune en papier dans ses tiroirs et de la monnaie de papier dans sa bourse, ne sachant plus à quoi employer son papier, en introduit l’usage jusqu’en ses plaisirs : confetti, serpentins, sont l’âme de notre carnaval régénéré. Pour manifester leur joie, les Parisiens d’aujourd’hui se lancent à la tête les uns des autres, en un seul jour, 50 000 kilos de ces poignées de paillettes multicolores. Ce jeu suffit à établir quelque cordialité d’une heure entre inconnus adultes, passagèrement ramenés à l’enfance. De Paris, serpentins, confetti, ont gagné les villes de province, et dans le fond des campagnes, aux foires, aux « assemblées » rurales, paysans