Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont une louable tendance à simplifier les procédures pour les abréger dans l’intérêt du justiciable. Aussi les affaires qu’ils confient aux juges d’instruction vont toujours diminuant en nombre : 72 758 en 1860 ; 51 912 en 1880 ; 42 605 en 1891.


Et le nombre des citations directes (affaires transmises au tribunal sans instruction régulière), de 66 000 en 1880, atteint en 1892 le chiffre énorme de 164 162. La grande majorité des affaires s’en va donc au Tribunal sans intermédiaire. L’information est réduite à sa plus simple expression : un procès-verbal, des renseignemens de police, un bulletin du casier, et peut-être un témoin, expédié en hâte, avec le dossier et le prévenu, à l’audience encombrée de la police correctionnelle. Là le magistrat, surchargé de besogne, est contraint de prononcer en quelques instans, sans documens qui puissent l’éclairer, sur des questions qui engagent parfois les plus délicats problèmes de la criminalité.

Et cette justice haletante, vertigineuse, qui n’a qu’un but ; aller vite ; cette justice qui, substituée maintenant à toutes les autres, devient la juridiction moderne par excellence, est précisément en contradiction avec toutes les idées scientifiques admises aujourd’hui. Aux yeux des hommes de science, en effet, la condition d’une lutte efficace contre la criminalité (qui depuis cinquante ans aurait augmenté de 133 pour 100)[1], c’est l’examen attentif et réfléchi de chaque prévenu. L’ « individualisation de la peine, » le bon et sérieux) « classement » des délinquans, tel est le but à atteindre au prix d’informations prudentes, et complètes.

Combien nous sommes loin d’une telle justice ! Ce tribunal correctionnel, qui se sent mal informé, qui n’a pas confiance en lui-même, a une tendance invincible à se réfugier dans le compromis des « courtes peines ». Le fait est établi, et il est établi aussi que ces « courtes peines, » appliquées sans un examen suffisant, ont pour résultat certain l’augmentation de la récidive.

D’autres inconvéniens résultant de la suppression de l’instruction préparatoire ont été également reconnus.

Écoutons sur ce point le rapport de M. le garde des sceaux[2] :

Cette substitution continue de l’information officieuse à la marche plus coûteuse et plus lente de l’instruction, a permis de réaliser des économies considérables, à tel point que les frais de justice, après avoir été de 22 francs en moyenne par prévenu, sont descendus en quelques années, à 13 ou 14 francs. Mais il est à craindre que l’on ne se soit engagé un peu loin dans cette voie, et l’on peut se demander si ce n’est pas là une des causes qui expliquent un phénomène déjà signalé dans nos comptes antérieurs : la progression

  1. Henry Joly, France criminelle.
  2. Journal officiel du 16 mai 1895.