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cercle de nos institutions[1] On l’a dépossédé de ses propres affaires. Il n’a jamais connu des délits aggravés par la récidive, c’est-à-dire des infractions qu’on s’accorde aujourd’hui à compter au nombre des plus importantes. On lui laisse les attentats à la pudeur, qu’il n’y a pas grand intérêt à faire juger par lui[2].

Enfin il garde encore dans son domaine amoindri quelques délits de presse et les « beaux crimes », les crimes vraiment décoratifs, les tueries passionnelles, les boucheries à la Troppmann. Ainsi la France n’a pas en réalité de juridiction criminelle ; mais il lui en reste le décor, où se jouent, pour le plus grand profit de « l’éloquence judiciaire, » quelques représentations de gala.


II

Nous venons de le montrer, c’est le tribunal correctionnel qui statue sur les crimes que les parquets ont démarqués.

Ainsi il y a en France une juridiction qui, en fait et en réalité, rend la justice criminelle, alors que rien, dans les vues du législateur, ne la destinait à ce rôle. Il est clair que cette juridiction, déjà compétente dans la matière immense des délits, investie de pouvoirs considérables par plusieurs lois récentes (et notamment par la loi du 27 mai 1885 sur la relégation), tend à devenir dans notre droit pénal la juridiction universelle.

Sous l’action du ministère public, et par un mouvement qui semble irrésistible, tout reflue vers le tribunal correctionnel. Et tout y aboutit de plus en plus vivement, directement et sans intermédiaire, car les parquets, pour plus de rapidité, suppriment l’instruction préparatoire.

Le jury n’est point seul à périr de disette : le juge d’instruction est dans le même cas. Tandis que le public discute ses pouvoirs, ce magistrat en est peu à peu dépouillé, mais par une autre voie que celle des réformes. Le nombre des affaires qui lui sont confiées diminue chaque jour. Aussi, quand une loi hardie et libérale viendra enfin fixer les garanties de la défense et les nouvelles méthodes de l’instruction préparatoire, il sera établi en fait que les quatre cinquièmes des affaires se jugent sans instruction.

Les magistrats du ministère public, disait M. le garde des sceaux en 1891,

  1. Qu’on veuille bien rapprocher ces constatations de la phrase connue de Faustin Hélie : « La cour d’assises est la juridiction générale et ordinaire du pays… » Cela est vrai… en Angleterre où, dans l’année 1893, le jury criminel (l’Ecosse exceptée) s’est prononcé sur le sort de 12 296 accusés. (Criminal statistic, London, 1895, p. 131.)
  2. En 1892, sur 2 949 affaires jugées par les Cours d’assises, il y a eu 673 attentats à la pudeur.