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peut bien demander à l’histoire des enseignemens ou des leçons, et plus souvent des argumens ; le moraliste y trouve des exemples ; l’artiste y puise des inspirations ; et le simple lecteur, les enfans et les femmes, y goûtent un plaisir analogue à celui que leur procurent le drame ou le roman. Mais, tous ensemble, que nous le sachions ou non, si nous l’aimons, et, de quelque façon qu’elle soit écrite, si nous la lisons, c’est que nous nous y sentons vivre d’une autre vie que la nôtre, moins étroite, qui n’est pas limitée à la durée de notre existence, moins personnelle, plus largement humaine ; c’est qu’étant pour nous-mêmes une indéchiffrable énigme, nous sommes avides de révélations qui nous aident à l’épeler ; c’est que nous nous doutons que l’histoire du plus lointain passé renferme quelque chose du secret de notre destinée, je veux dire de la destinée de l’espèce. Et, pour en approcher, de ce secret qui nous fuit toujours, mais dont la fuite éternelle fait l’invincible attrait, tous ceux qui ont cru, comme Augustin Thierry, que si le cœur fait les grands orateurs - pectus est quod disertos facit - il fait également les grands historiens, nous leur devons un pieux et reconnaissant hommage. Il se pourrait, quand on y pense, qu’un peu de cœur fit aussi les grands, les vrais, les seuls vrais et les seuls grands savans.


F. D.


Le Directeur-Gérant

FERDINAND BRUNETIERE