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projet d’impôt général sur le revenu à base progressive. Avec eux, aucune illusion n’est possible : nous savons où on nous conduit. La Chambre n’en a pas moins écouté avec quelque indifférence la longue nomenclature des réformes qu’on lui annonçait. Un peu moins du tiers de l’Assemblée a applaudi avec enthousiasme ; les deux autres tiers sont restés silencieux et impassibles. Le gouvernement demandait à être jugé d’après ses actes ; on les attendra, et quelques-uns ne doivent se produire que beaucoup plus tard. Qui sait si le ministère vivra jusque-là ? Généralement, on en doute. Ainsi, le ministère a déclaré qu’il acceptait tel quel le budget de son prédécesseur avec la ferme résolution de le faire voter avant le 31 décembre : la première des réformes, a-t-il dit, est le vote du budget en temps normal. Cela est vrai, mais rien ne sert de courir, il faut partir à temps, et, au surplus, on ne s’aperçoit pas du tout que la Chambre coure plus vite depuis qu’elle a un ministère radical. Quoi qu’il en soit, ce n’est que dans le budget de 1897 qu’on présentera les grandes réformes ; on ne les discutera que dans une année ; cela donne le temps de respirer, et tout le monde serait bien surpris, le Cabinet tout le premier, si dans un an, le roi, l’âne ou moi n’étions pas morts. A une aussi longue distance de leur exécution, les menaces n’effraient pas plus que les promesses ne rassurent, et, dans leur vieille expérience, les Chambres restent également sceptiques envers les unes et envers les autres.

La seule crainte sérieuse est que, pendant le temps plus ou moins long de la durée du ministère, l’anarchie morale, politique, administrative, qui a fait tant de progrès dans le pays, n’en fasse encore davantage, et qu’il ne soit ensuite très difficile d’y remédier. C’est sur ce point que portent les préoccupations principales. Dans le pays comme à la Chambre, on verra beaucoup de revenans reprendre une vie qui commençait à languir et à s’éteindre. Les comités radicaux dont l’action avait beaucoup baissé essaieront de ressaisir sur les préfets et les sous-préfets le détestable empire qu’ils ont exercé si souvent. Leur effort principal tendra à empêcher de venir à la république tous ceux que la désillusion, le besoin de repos, souvent le simple bon sens et le patriotisme tendaient de plus en plus à rapprocher de l’ordre de choses actuel. Sans doute il faut distinguer entre les ralliés. Il en est dont la conversion, pour être prise au sérieux, a grandement besoin d’être confirmée par sa persévérance. Rien ne serait plus imprudent que d’abandonner les destinées de la République à ceux qui, hier encore, en étaient les adversaires les plus déterminés. Mais le mouvement d’adhésion qui se produisait partout n’en était pas moins un symptôme favorable, heureux, pacificateur, et qu’il convenait d’encourager en le surveillant. Ce qui distingue le gouvernement actuel, à le juger par la plupart de ses membres et par tous ceux qui le soutiennent, est l’horreur instinctive et la terreur des ralliés. Le royaliste obstiné dans ses