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Berthelot, ayant été à l’instruction publique, est aux affaires étrangères : tant la fixité dans les opinions dispense d’en avoir dans sa spécialité.

Et si le nouveau personnel politique est vieux, le programme qu’il a apporté aux Chambres ne l’est pas moins. Nous avons vu cela partout. Il n’est pas une seule des promesses de M. Bourgeois qui n’ait été déjà faite, et bien souvent. Il est vrai que jamais elles n’avaient été groupées en pareil nombre. La phrase de la déclaration ministérielle qui a le plus étonné est celle où il est dit que, pour aboutir, il faut savoir se restreindre. M. Bourgeois promet tout, et quelques autres choses encore. Ce n’est pas un programme qu’il a rédigé, c’est une table des matières. Combien de fois, par exemple, n’a-t-on pas annoncé une loi sur les associations ? Il y a déjà plusieurs projets à l’étude dans une commission qui est présidée par M. Coblet. Quelques-uns d’entre eux, tout comme celui que nous ne connaissons pas encore, mais que le gouvernement annonce, ont pour objet avoué de préparer la séparation de l’Église et de l’État, ce qui a toujours été le moyen le plus sûr de les faire tous échouer. Combien de fois ne nous a-t-on pas parlé d’un projet de loi sur l’armée coloniale ? La commission de l’armée est déjà saisie de quatre ou cinq. L’ancien ministère avait promis d’en déposer un autre, mais il ne l’a pas fait, sans qu’on puisse dire que le temps lui ait manqué pour cela. Il a temporisé jusqu’au moment de sa chute. Tout porte à croire, pourtant, qu’il n’en sera pas ainsi avec le nouveau cabinet, car l’auteur d’un des projets en cours d’étude n’est autre que M. Cavaignac, lequel est devenu ministre de la guerre. Il est donc probable que le ministère se contentera de s’approprier le projet de M. Cavaignac, et quant à nous, nous en sommes bien aises, car il vaut mieux pour le gouvernement présenter un mauvais projet que de n’en présenter aucun : il donne toujours par là un point de départ à la discussion. Avons-nous besoin de dire que le ministère déposera un grand nombre de projets relatifs à des réformes sociales, caisse de retraite pour la vieillesse, pour les accidens du travail, sociétés de secours mutuels, etc., etc. ? Enfin il se propose d’introduire des changemens très profonds dans notre système fiscal. Dès maintenant, la Chambre discute la réforme des successions qui, pour la première fois, introduit dans nos lois le principe de la progression. C’est là un legs de l’ancien ministère, et non pas le meilleur ; mais du moins, avec un gouvernement modéré, on pouvait espérer que le mal ne se serait pas étendu plus loin. M. Poincaré, tout en présentant la loi, s’était déclaré d’une manière générale hostile à la progression. C’était une concession qu’il faisait ; il s’appliquait à en diminuer l’importance ; il entendait qu’elle fût la dernière. Le nouveau gouvernement entend que ce soit la première, et qu’elle soit suivie de beaucoup d’autres. Ce n’est plus une concession qu’il fait, c’est tout un système dans lequel il s’engage, car MM. Doumer et Cavaignac ont présenté et défendu en commun un