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Nul ne conteste que l’œuvre à accomplir en ce lieu soit une œuvre de haute et sereine justice. Comment donc se fait-il que tout dans cette salle ait un air d’agitation et de tumulte ? que tous les yeux expriment ce sentiment particulier à la cour d’assises, que quelqu’un a nommé la « colère légale » ?

Pour répondre à cette question, et à bien d’autres, il faut chercher à découvrir le secret des rouages, à voir la coulisse du grand spectacle que cette scène offre au public. Nous offrirons sur ce point quelques observations, qui n’ont d’autre mérite que d’avoir été prises sur le vif, avec la plus grande impartialité. Nous laisserons les faits parler d’eux-mêmes, et ils nous apporteront peut-être certaines conclusions.

Institution à peine séculaire, la cour d’assises, telle qu’elle est constituée, est-elle une institution utile et vivace qui a poussé de fortes racines dans notre sol et à laquelle l’avenir appartient ? Est-elle au contraire une institution déjà condamnée, tout au moins dans sa forme présente, dans la combinaison actuelle de ses organes ? Raillée par beaucoup de criminalistes, serait-elle graduellement dépossédée, et déjà réduite, soit par certaines lois, soit par l’action latente et continue de la magistrature, au rôle d’un moulin qui déploie dans le vide sa solennelle évolution et n’a plus de grain à broyer ?

Derrière ce majestueux décor de la cour d’assises, peut-être viendrons-nous à apercevoir, par la démonstration des faits, que la France, en réalité, n’a plus de juridiction criminelle, que le jury est un trompe-l’œil, que supprimé en fait (ou à la veille de l’être) il laisse ses pouvoirs passer aux mains du tribunal de police correctionnelle. Et peut-être serons-nous ensuite forcés de reconnaître qu’il serait fâcheux de restituer à ce jury, tant qu’il aura sa forme actuelle, toutes les affaires de sa compétence.

Examinons-le donc de près, et avant tout, répondons aux questions suivantes :

Quelles sont les affaires jugées par la cour d’assises ?

Avec quels hommes et par quelles méthodes les juge-t-elle ?

Abordons d’abord la première question : quels sont les faits déférés à la Cour d’assises ? Quelle est la matière première offerte par la loi à cette haute machine sociale destinée à produire de la justice et de la vérité ? La réponse, au premier abord, semble si facile et élémentaire qu’il parait oiseux de l’avoir posée. Ce sont, d’après la loi, les faits qualifiés « crimes » qui sont renvoyés devant la cour d’assises. Et qu’est-ce qu’un « crime », dans l’opinion du public ? C’est un délit plus grave que les autres, puni de peines plus rigoureuses, et dont la répression appartient au jury.

Or, il se trouve que rien de tout cela n’est exact, et qu’en cette