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ramasser ivre-mort dans une rue de la Haye, et n’arrive à Ratisbonne que pour songer aux moyens d’en repartir au plus vite.

« Le divertissement le plus galant du pays cet hiver, écrit-il en français à un de ses amis, c’est le traîneau, où l’on se met en croupe de quelque belle Allemande, de manière que nous ne pouvons ni la voir, ni lui parler, à cause d’un diable de tintamarre des sonnettes dont les harnais sont tout garnis. »

Pour se consoler, l’étrange ambassadeur joue aux cartes avec tous les aventuriers qu’il rencontre, reçoit ouvertement à sa table une actrice de passage au grand scandale des braves Allemands, s’endette, s’enivre, et adresse aux belles des madrigaux en anglais et en français :


Garde le secret de ton âme,
Et ne te laisse pas flatter
Qu’Iris espargnera ta flamme
Si tu luy permets d’éclater.
Son humeur, à l’amour rebelle,
Exile tous ses doux désirs ;
Et la tendresse est criminelle,
Qui veut luy parler en soupirs.


Une autre de ses distractions est encore de recevoir les lettres indignées de sa femme, qui ne peut lui pardonner ses galanteries pour la petite actrice. « Madame, lui répond-il, je voudrais qu’on répandît dans Londres des copies de votre lettre, pour montrer aux femmes trop modestes comment elles peuvent écrire à leurs maris. »

En 1689, après un séjour à Ratisbonne de trois ans et six mois, il s’enfuit à Paris, ne laissant pour tout gage à ses créanciers que le Théâtre de Shakspeare, et une édition en deux volumes des Œuvres de Molière. Et là s’arrête tout ce qu’on sait de lui. M. Gosse nous apprend seulement qu’un acte officiel du 1er février 169-2 porte la mention de « lady Mary Etheredge, veuve ; » d’où l’on peut présumer que sir George Etheredge n’a guère joui longtemps d’un repos si honnêtement gagné.


T. DE WYZEWA.