Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrire et faire représenter au théâtre du Duc d’York une tragi-comédie, la Vengeance comique, ou l’Amour dans un tonneau. Ce n’était pas, à proprement parler, en Angleterre, la première tentative d’une imitation du théâtre français. « Au lendemain de la Restauration, en 1661, un anonyme avait publié à Londres une adaptation du Menteur de Corneille : et dix ans auparavant déjà, Lower avait traduit les tragédies de ce grand poète. Mais le retour précipité des royalistes, au moment de la Restauration, les avait empêchés d’assister aux débuts de Molière. Et ce qui donne à la Vengeance comique une valeur toute spéciale, c’est qu’on y sent l’œuvre d’un homme qui a entendu et apprécié l’Étourdi, le Dépit amoureux, et les Précieuses ridicules. »

Comme dans ces comédies, en effet, le héros de la pièce est un valet, Dufoy, une manière de Mascarille, qu’un jeune seigneur anglais, sir Fred Frollick, a un jour rencontré à Paris, flânant sur le Pont-Neuf, et qu’il a aussitôt engagé à son service, sur la recommandation de son ami M. de Grandville. L’action de la Vengeance comique ne rappelle d’ailleurs que de très loin celle des pièces de Molière. Comme le fait remarquer M. Gosse, « la tâche de moraliste, que s’est imposée dès l’abord le poète français, aurait été à ce moment trop lourde pour des épaules anglaises. » Et c’est en effet le trait le plus frappant de cette tragi-comédie, de n’être rien qu’une série de portraits individuels, sans la moindre prétention à une peinture générale des mœurs de l’époque.

La même différence apparaît mieux encore dans la seconde des comédies d’Etheredge, Si Elle pouvait ! que l’imitation évidente de Tartuffe n’empêche pas d’être une farce, pleine avec cela de petits détails finement observés. Elle obtint à Londres un succès énorme ; et l’on put espérer qu’Etheredge se consacrerait désormais exclusivement à la comédie. Mais Etheredge n’avait de vocation que pour boire, pour courir les filles, et pour se reposer. Il attendit huit ans avant de produire sa troisième comédie, l’Homme à la Mode ; après quoi, jugeant sa tâche accomplie, il renonça complètement à la littérature.

Il ne manquait point, d’ailleurs, d’autres soucis plus urgens. L’Homme à la Mode venait à peine d’être joué, en 1676, que le malheureux auteur était forcé de se cacher et de fuir, pour avoir, avec son ami Rochester, attaqué la nuit un officier de police. Il s’était cependant marié, quelque temps auparavant : il avait épousé une veuve riche et noble, dans l’espoir, dit-on, de pouvoir être lui-même plus facilement anobli. Et en effet dès 1676 il devient sir George Etheredge ; et dès la même date nous le voyons en très mauvais termes avec sa femme, la délaissant pour se constituer l’amant en titre de cette belle et cruelle Mrs Barry, que Thomas Otway a longtemps poursuivie d’un amour passionné.

En 1685, à l’avènement de Jacques II, Etheredge est envoyé à Ratisbonne, en qualité d’ambassadeur du roi auprès de la Diète. Il se met en route sans se hâter, passe plusieurs mois en Hollande, se fait